6 questions à…Gilles Reigner, CEO et fondateur de GR Innovation Yachting

Economie

Rendez-vous avec celles et ceux qui font le nautisme d’aujourd’hui et de demain : cette semaine, Gilles Reigner, CEO et fondateur de GR Innovation Yachting, constructeur de catamarans électriques 100% autonomes.

Rendez-vous avec celles et ceux qui font le nautisme d’aujourd’hui et de demain : cette semaine, Gilles Reigner, CEO et fondateur de GR Innovation Yachting, constructeur de catamarans électriques 100% autonomes.

Figaro Nautisme : Comment devient-on constructeur de catamarans alors que l’on est docteur en physique spécialisé en dynamique des structures ?

Gilles Reigner : Pendant une trentaine d’années, j’ai travaillé exclusivement dans le bâtiment, au sein de deux centres de recherches - l’un public, l’autre privé - où je dirigeais divisions et services. J’étais également expert judiciaire et j’étais maître de conférences associé au CNAM, et enseignant en niveau bac +5 dans diverses Universités et écoles d’architecture et d’ingénieurs. En parallèle, j’ai toujours développé des entreprises et déposé des brevets internationaux. Mon rêve était d’arrêter de travailler à 50 ans et profiter, enfin, de la vie. A 48 ans, je me suis mis à la recherche du catamaran de mes rêves afin de concrétiser mon envie de liberté. Ce concept est essentiel dans ma vie. C’est cette recherche de liberté qui m’a toujours porté et motivé. Je suis originaire de Lyon et je n’avais pas du tout la culture du nautisme. Je me suis donc formé, j’ai passé les permis, etc. J’étais sur le point de commander un Nautitech 44 quand... je suis tombé sur une publicité pour un catamaran construit en Thaïlande, l’Andaman 49. Je l’ai trouvé intéressant, j’aimais son design, la taille me semblait idéale pour mon programme. Je me suis rendu sur place, j’ai découvert un chantier, qui ne ressemblait pas à grand-chose mais un constructeur passionné qui a su me convaincre et j’ai commandé mon bateau, pour ensuite, partir naviguer sur les flots comme je me l’étais promis ! Déjà, à l’époque, j’avais demandé une propulsion électrique, un choix encore très novateur il y a une dizaine d’années, puisqu’il n’y avait qu’une seule offre sur le marché. Je me suis donc lancé dans cette « aventure ».

Malheureusement, j’ai eu un très grave accident de moto et je suis resté hospitalisé très longtemps. Pendant cette immobilisation, le chantier a pris beaucoup de retard puis, le patron du chantier Catathaï est décédé. Il restait 3 bateaux à finir et le mien encore à construire presque entièrement. J’ai proposé aux autres propriétaires tout aussi dépourvus que moi, de reprendre le chantier et de finir les bateaux. Ce que j’ai fait. Ne pouvant plus marcher correctement après mon accident, j’ai abandonné l’idée de tour du monde en bateau et me suis pris au jeu de la construction nautique.


Figaro Nautisme : Comment se passe le lancement d’un chantier naval en Thaïlande ?

Gilles Reigner : Tout est forcément beaucoup plus compliqué. J’ai la chance d’avoir un staff birman exceptionnel. Ils ont été formés par de grands professionnels et très bons spécialistes que j’ai fait venir d’Europe. Ces amis ont été d’un soutien et d’une aide remarquables. Il faut être honnête, cela n’a pas été simple de relancer le chantier, mais nous y sommes parvenus. Mais, quand le Covid est arrivé, tout s’est arrêté en Thaïlande comme partout ailleurs dans le monde. C’est pendant cette période que j’ai imaginé un tout nouveau catamaran de 60 pieds, 100% électrique et ne nécessitant aucune énergie fossile pour être autonome. Un vrai défi, mais les calculs étaient formels : c’était possible, grâce à la pile à combustible, une motorisation électrique bien dimensionnée, des panneaux solaires et des éoliennes d’un nouveau type, tous parfaitement efficients.


Figaro Nautisme : Votre dernier né est donc ce catamaran de 63 pieds, le GR 63. Est-il vraiment totalement autonome sans aucune énergie fossile à bord ?

Gilles Reigner : J’ai présenté ce concept au salon de Cannes juste après la période de confinement. J’y ai rencontré un passionné qui a osé se lancer, avec moi, dans l’aventure et la construction de ce bateau novateur. Le bateau vient d’être mis à l’eau. Il est parfaitement dans ses lignes, au poids voulu par l’architecte naval Alexandre Fortabat, soit 34 tonnes mesurées, et les premiers essais sont vraiment concluants. Mon idée était de concevoir un bateau facile à mener - même si j’envisageais moi-même de partir en voilier, je sais que la voile demande un apprentissage long et compliqué - je me suis donc orienté vers un bateau à moteur. Dans un premier temps, j’ai travaillé sur les solutions permettant de réduire toutes les consommations d’énergies sans sacrifier au confort à bord. Ensuite, j’ai cherché les meilleures solutions pour générer l’énergie nécessaire, la maximiser, sans recourir aux énergies fossiles. L’objectif : l’autonomie totale - fidèle à ma philosophie de recherche de liberté...
Le GR 63 est équipé de 2 moteurs électriques de 2x110 Kw, de plusieurs parcs batteries à différents voltages - 560 volts en continu, 48 volts et 24 volts - pour alimenter les divers systèmes. L’ensemble est interconnecté et géré automatiquement par une intelligence artificielle qui répartit les charges et les décharges. Si les panneaux solaires - y compris des vitrages solaires totalement révolutionnaires qui génèrent tout de même 80 W au m2 - la régénération et les éoliennes ne suffisent pas, nous avons la pile à combustible méthanol / eau en backup. Tout se fait directement à bord, sans presque aucune émission polluante : seules de l’eau, un peu de chaleur et une petite trace de CO2 sont rejetées. Nous disposons de 4 piles à bord qui produisent chacune 5 kW/h. Largement de quoi recharger le parc batteries si nécessaire.
Avec ces différents systèmes, le bateau est totalement autonome et peut naviguer... aussi longtemps que vous le souhaitez à une vitesse moyenne de 6 à 7 nœuds. J’ai même ajouté, au cas où, une propulsion par kite automatisé en complément.
L’autonomie est poussée à son maximum sur ce bateau, puisque nous l’avons équipé d’une salle hydroponique automatisée permettant de cultiver des plantes, des fruits et légumes directement à bord. Quand je vous dis que vous pouvez partir et naviguer sans jamais vous arrêter. C’est une réalité !
Dernier point, tout, absolument tout, est gérable depuis un écran principal et, si besoin, à distance. La technologie embarquée est compliquée, mais la navigation et la gestion à bord, relativement simples. Il faut quand même avoir une bonne ouverture d’esprit [rire].


Figaro Nautisme : Quels sont vos prochains projets ?

Gilles Reigner : Je travaille sur un nouveau bateau, une unité capable d’aller sur l’eau, sous l’eau et dans les airs. Un catamaran de 80 pieds, embarquant à la fois un petit sous-marin et un drone biplace, électriques et rechargeables à bord. Un vrai bateau d’exploration, bien sûr totalement autonome. Un bateau que j’aimerais équiper d’un système de production d’hydrogène à bord.

Figaro Nautisme : GR Innovation Yachting en chiffres ?

Gilles Reigner : No limit ! Comme l’autonomie de mes bateaux qui doivent pouvoir vous emmener aussi loin que vous en rêvez.


Figaro Nautisme : Dernière question : vous fabriquez déjà les bateaux de demain mais alors à quoi ressembleront vos bateaux en 2050 ?

Gilles Reigner : J’espère que nous aurons atteint la maturité pour produire des bateaux moins énergivores dans leur construction, dans leur utilisation et toujours plus autonomes. Pour cela, il faudra trouver d’autres fibres - aujourd’hui j’utilise la fibre de basalte dans la construction. Il nous faudra réussir à générer facilement à bord toute l’énergie nécessaire sans avoir besoin de la stocker dans de grosses bonbonnes liquéfiées ou compressées. Les panneaux solaires et les éoliennes dynamiques et autres sources énergétiques devront alors suffire à alimenter la génératrice d’hydrogène. Nous y sommes presque, mais il reste encore des points à perfectionner pour que cela soit pleinement opérationnel. Un beau challenge !

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
Charlotte Lacroix
Charlotte Lacroix
Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
Max Billac
Max Billac
Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
Denis Chabassière
Denis Chabassière
Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
Michel Ulrich
Michel Ulrich
Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
METEO CONSULT
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METEO CONSULT
METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…
Cyrille Duchesne
Cyrille Duchesne
Cyrille Duchesne
Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
Irwin Sonigo
Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.