
Figaro Nautisme : Comment vous est venue l’idée de créer Yacht Concept à La Rochelle en 2004 ? Est-ce par passion pour le nautisme ?
Laurent Da Rold : Je navigue depuis mes 13 ou 14 ans. Mes parents étaient originaires du Loir-et-Cher. En 1980, ils ont fait construire une maison sur l’Ile de Ré. Déjà je les entraînais toujours sur les pontons pour aller voir les bateaux. Du coup, mon père a joué le jeu et en arrivant sur l’Ile de Ré il a acheté un petit bateau. J’ai commencé à suivre des cours de dériveur à Ars en Ré et tout est parti de là.
J’ai ensuite fait une école d’ingénieur, Centrale à Lille, et je me destinais à travailler - comme tout le monde à l’époque - dans l’informatique. Un jour, je me suis dit que ce n’était pas ce que je voulais faire dans la vie [Rires !]. Ce que j’aimais, c’était naviguer et le bateau en général. Comme je devais effectuer un stage dans le cadre de mes études, j’ai postulé chez Fountaine Pajot à La Rochelle. J’ai été pris et j’y suis resté... de 1990 à 2004. Pour la petite histoire, à la fin de mon stage, j’ai annoncé au chantier que je voulais partir naviguer. La réponse a été très sympa : « vas-y, c’est super ! Et tu reviens après... ». Nous sommes partis d’Ars-en-Ré sur le bateau de mes parents - un 9 mètres - pour rejoindre la Norvège. Un super souvenir et une navigation incroyable. Quand je suis rentré, le chantier a tenu parole et m’a embauché.
En 1990, nous n’étions que 30 personnes au chantier. 400 quand je suis parti en 2004. J’ai ainsi eu l’opportunité de superviser et de gérer différents aspects de la construction comme directeur de production, directeur technique, etc. En 2004, j’avais le sentiment d’avoir un peu fait le tour de la production de série. Je trouvais qu’il manquait un élément essentiel : un interlocuteur capable de gérer les projets du début à la fin. Le lien entre les architectes et le chantier. Cela n’existait pas alors que c’est indispensable, tout particulièrement dans la construction de bateaux à l’unité. C’est ce qu’on appelle la maîtrise d’œuvre. Je me suis lancé en 2004 en créant Yacht Concept.
Figaro Nautisme : Yacht Concept s’est spécialisé dès sa création dans la maîtrise d’œuvre pour le nautisme. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste et ce qui vous différencie des autres constructeurs ?
Laurent Da Rold : La maîtrise d’œuvre ou gestion de projet complète le travail de l’architecte naval pour un bateau sur mesure et fait l’interface avec le chantier. Chez Fountaine Pajot, nous avions mené quelques projets d’adaptation sur nos modèles de série, mais personne n’avait le temps en interne de les suivre efficacement, et il n’existait pas non plus de partenaire extérieur capable de nous accompagner. Je me suis simplement dit que c’était mon métier, que cela me passionnait et qu’il y avait forcément un marché pour se lancer. Je voulais apporter ma compétence. Les chantiers navals qui construisent des bateaux sur mesure ne sont généralement pas équipés d’un bureau d’études. Et le métier de l’architecte est de dessiner le bateau, ses œuvres vives, faire un devis des masses, un plan de voilure, imaginer son design... Mais pas de gérer l’implantation du système électrique ou de la plomberie. C’est là que nous entrons en scène ! Grâce à notre bureau d’études et au suivi complet du projet.
J’ai lancé Yacht Concept une semaine avant le Grand-Pavois 2004. Pendant le salon, j’ai été contacté par un futur propriétaire qui voulait construire un catamaran de 24 mètres au Sénégal. Le bateau s’appelle Pelicano et il a été le tout premier projet dont nous nous sommes occupés.
Figaro Nautisme : Vous venez d’inaugurer un nouvel atelier baptisé « One Shape ». De quoi s’agit-il ?
Laurent Da Rold : Cet atelier est l’évolution naturelle de Yacht Concept. Pendant des années nous avons travaillé sur des bateaux sur mesure ou sur la customisation de bateaux de série. Nous avons aussi dirigé la construction de l’Hermione pendant 8 ans. Un travail passionnant qui a mobilisé une grande partie de notre équipe et une énergie folle entre la maîtrise d’œuvre, le suivi des travaux et les différentes études pour l’homologation du bateau, et qu’il puisse naviguer dans de bonnes conditions de sécurité. Ce qui n’est pas si facile pour une réplique d’une frégate en bois du XVIIIe siècle.
Quand le projet Hermione a été finalisé en 2015, nous avions une très belle équipe et de nombreuses compétences. Nous avons alors lancé l’idée de développer et faire construire des catamarans de transport de passagers et de balades à la journée. Le projet DAY 1 est né : des bateaux totalement sur-mesure pour répondre aux demandes très particulières des armateurs professionnels avec une méthode de construction simple pour maîtriser à la fois les coûts et le poids. Nous avons tout de suite eu une première commande et nous avons réalisé environ un bateau par an jusqu’en 2020. Comme pour nos précédentes réalisations, nous nous occupions de la gestion et du suivi du projet, mais les bateaux étaient construits dans des chantiers partenaires.
En 2020, nos sous-traitants historiques n’avaient plus suffisamment de capacité de production à nous proposer et nous avons dû - pour pérenniser notre production - lancer notre propre chantier de production. D’abord un bâtiment temporaire dès l’automne 2020 puis le bâtiment dans lequel nous sommes aujourd’hui. Nous y construisons entièrement les DAY-1 selon une technique particulière : nous n’utilisons pas de moules pour les coques ni les superstructures. Cela nous permet de répondre vraiment à toutes les demandes. Nous assemblons des panneaux-plans gelcoatés, issus d’un même moule-plan, entre eux. Ces panneaux sont ensuite cintrés selon nos besoins, comme nous le ferions avec de l’aluminium, du contreplaqué ou de l’acier pour construire nos coques en forme. L’avantage est d’offrir une liberté totale impossible avec un moule de coque. Pour vous donner un exemple, nous mettons actuellement à l’eau le 24e DAY 1, et nous avons construit 22 carènes différentes... Autre atout, cette méthode permet d’obtenir des bateaux très légers, un point essentiel pour des navires de travail et de transport à passagers. Ils naviguent facilement sans avoir besoin de trop gros moteurs ni de gréements surdimensionnés.
Figaro Nautisme : De l’Hermione aux catamarans de day-charter DAY 1, votre expertise couvre à la fois les bateaux d’hier à ceux d’aujourd’hui. Comment imaginez-vous ceux sur lesquels nous naviguerons dans 10 ou 15 ans ?
Laurent Da Rold : Vaste question... J’espère déjà que le marché évoluera dans le bon sens. Et pour moi, le sens de l’histoire est de stopper cette course au confort à bord et au suréquipement. La question écologique me parait essentielle aujourd’hui et, d’ici 15 ans, je pense que nous aurons encore évolué pour proposer des bateaux plus vertueux. On n’échappera pas à la connectivité et au tout numérique, avec les difficultés que cela va engendrer, car en mer, le milieu n’est pas adapté à ces technologies.
Enfin, j’imagine que la propulsion vélique va revenir sur le devant de la scène, que ce soit pour le transport de passagers, ou la plaisance. Un voilier correct va naviguer à la voile et en terme écologique, nous n’avons encore rien imaginé de mieux !
Quant à la construction, elle va être, elle aussi, plus vertueuse : notre nouveau bâtiment en bois est à énergie positive, c’est-à-dire qu’il produit plus d’énergie qu’il n’en consomme, grâce à une très bonne isolation et 900 m2 de panneaux solaires sur notre toit. Là encore, c’est le sens de l’histoire !
Figaro Nautisme : Yacht Concept en chiffres ?
Laurent Da Rold : Nous mettons à l’eau notre 24e catamaran DAY 1. Aujourd’hui, nous en construisons 6 par an. Nous étions 6 personnes en 2020, nous sommes 80. Nous faisions 1,8 millions d’euros de chiffre d’affaires à l’époque ; 15 millions en 2024.
D’autres chiffres ? 52, comme le nombre de pieds d’un catamaran que nous avons réalisé pour un particulier qui ne trouvait pas sur le marché le bateau de ses rêves ou 61.01 comme le bateau que nous avons construit pour Sailcoop sur des plans VPLP pour transporter des passagers à la voile entre Concarneau et les Glénan.
Enfin, nous avons des convictions écologiques fortes. Dans un DAY 1, l’âme de nos sandwichs est constituée de PET recyclé, issu de bouteilles en plastique. En 2024, ce sont 500 500 bouteilles plastiques qui ont été recyclées.
Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?
Laurent Da Rold : La dernière navigation remonte à une sortie sur mon bateau personnel, un J80 à La Rochelle, il y a quelques jours. Ma dernière croisière date de l’été dernier en Corse. Nous avions loué un catamaran Nautitech et avons navigué le long de la côte Ouest de l’île.
Quant à la prochaine navigation : j’espère qu’elle sera en Polynésie pour une période... de plusieurs semaines, mais c’est encore un peu tôt pour en parler [Rires !]...
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