
C’est un trésor sauvé deux fois : du fond des eaux d’abord, puis d’une longue bataille judiciaire en Espagne, aux Etats-Unis et jusqu’en Amérique du Sud. Les 23 tonnes de pièces coulées en 1804 au large de Gibraltar ont connu une histoire mouvementée.
Il a patienté deux siècles au fond de l’eau, dans l’épave d’un galion espagnol, gisant par 518 mètres de fond, avant de retrouver la lumière du jour, en mai 2007, lors d’une expédition du géant américain de la chasse au trésor, Odyssey. Il s’agirait de la luxueuse cargaison du Nuestra Señora de las Mercedes, un galion espagnol coulé en 1804, au large de Gibraltar, à son retour du Pérou. A l’époque, la marine britannique, auteur des tirs fatals, craignait qu’il ne transporte un trésor destiné à alimenter les caisses de Napoléon. De fait, au moment de sa découverte, l’épave protégeait le plus important trésor sous-marin jamais découvert : 595.000 pièces d’or et d’argent, estimées à près de 500 millions de dollars ou 375 millions d’euros. Un franc succès pour Odyssey qui avait dépensé 2.6 millions de dollars pour localiser et remonter le trésor, grâce à un sous-marin télécommandé.
Le groupe américain avait alors rapidement transporté le butin jusqu’à son siège de Floride, après une escale à Gibraltar (sous juridiction britannique), et sans prévenir les autorités espagnoles, assurant que l'épave se trouvait dans les eaux internationales. Or, en apprenant cette découverte, l’Espagne a invoqué le principe de l’immunité souveraine et réclamé la reconstitution complète d’un patrimoine historique, « tombe des 250 marins et citoyens espagnols morts » dans le naufrage. Une demande contestée par Odyssey en raison du caractère marchand du navire. « Il est clairement prouvé que la majorité des pièces de monnaie transportées par le Mercedes appartenaient à des marchands privés », insistait la principale avocate d’Odyssey, Melinda MacConnel, en juin 2009. L’affaire était alors étudiée par la juridiction américaine. Cette même année, le Pérou entrait en scène en rappelant que le galion avait quitté un port péruvien, avant la Bolivie qui demandait une expertise sur la provenance des pièces, extraites en nombre dans les Andes à cette époque. Six descendants ont également revendiqué la propriété d’une partie du trésor. « Nous ne sommes pas motivés par l’argent, avait soutenu Mathilde Daireaux Kinsky, la descendante d’un général espagnol. Nous cherchons à honorer la mémoire de nos aïeux qui sont morts à bord. » Mais l’Espagne a finalement obtenu gain de cause et le musée archéologique de Madrid expose désormais une partie de ce trésor si convoité. Odyssey, dont les 2.6 millions de dollars mobilisés pour la recherche de l’épave n’ont pas été remboursés à l’issue des démarches judiciaires, a regretté une décision qui aurait pour conséquence de décourager l’exploration archéologique sous-marine. L’Espagne a intensifié ces dernières années ses efforts pour lutter contre le pillage des épaves.
Le trésor est arrivé à destination avec deux siècles de retard
Une partie du trésor est donc désormais présentée au public. Depuis jeudi, 30.000 pièces sont dévoilées dans une grande urne de verre, au musée archéologique de Madrid. Pour être présentées au public, la plupart des pièces ont été nettoyées et déposées dans l'urne, mais d'autres sont montrées dans l'état où elles ont été trouvées, enveloppées de boue. Environ 8.000 autres pièces sont exposées depuis le mois de mai au musée d'Archéologie sous-marine de Carthagène, dans le sud-est de l'Espagne, et une exposition raconte la bataille fatale Nuestra Señora de Las Mercedes, au musée naval de Madrid. "Une grande bataille a été gagnée, a expliqué Manuel Mortari, l'un des organisateurs de l'exposition madrilène, devant l’urne de verre. Cela servira d'exemple et aidera les gens à prendre conscience de la valeur de leur patrimoine. » Avant d’ajouter sur un ton léger : « C'est comme gagner le Mondial de football. Cela renforce la confiance en soi du pays. » Le secrétaire d'Etat à la Culture espagnol a lui voulu rappeler que ces biens culturels sont "le patrimoine de tous et pas le privilège de quelques-uns", concluant ainsi l'histoire mouvementée du butin.