
Il faut compter plus de deux heures de traversée, dans une mer souvent agitée, pour rejoindre depuis Brest l'île d'Ouessant, ses moutons, ses phares et ses 800 habitants. Une contrainte qui ne dissuade pas certains de s'y installer.
"C'est un privilège que d'être ici, c'est un anti-stress qui était inespéré", assure Guylène Leroux, 47 ans, qui a repris en mai avec son mari la maison de la presse face à la seule église de cette île de 8 km de long qui abrite cinq phares. "Je suis bien là, je ne bouge plus", répond-elle lorsqu'on lui demande si l'éloignement lui pèse. "Ici, on a le temps de faire les choses, de s'occuper de soi, de vivre, c'est aussi simple que ça", assure la buraliste, dont le commerce jouxte l'église du XIXe siècle.
De là, il n'y a que quelques dizaines de mètres à parcourir pour arriver chez David Mironneau. L'homme de 47 ans a repris en avril le seul salon de coiffure de l'île, terre la plus occidentale de l'Hexagone, s'y installant avec femme et enfant. "Ici, on bénéficie d'une dépollution visuelle, auditive et olfactive", affirme-t-il, se disant ravi de sa nouvelle vie, qu'il a choisie après avoir vu un reportage sur les anciens propriétaires à la recherche depuis quatre ans d'un repreneur. Barbe poivre et sel, jean et pull noir, le coiffeur claque la bise à ses clientes. "On se bise une fois et on se dit 'tu'", explique-t-il, assurant avoir reçu un très bon accueil sur ce bout de terre aux hautes falaises ciselées par l'océan.
Henriette n'est plus repartie
"Il m'a très bien coiffée", se réjouit Henriette, 76 ans. Arrivée avec ses parents à l'âge de 16 ans, elle s'est mariée à un Ouessantin et n'est plus jamais repartie. "On se plaît ici, on a tout ce qu'il faut", ajoute-t-elle. L'île dispose de trois supérettes -les produits peuvent cependant être deux à trois fois plus chers que sur le continent- de deux agences bancaires, d'une boulangerie, d'une pharmacie, d'un commerce de bricolage, d'un médecin, d'infirmières, d'un vétérinaire..., ainsi que d'une école (jusqu'à la 3e). Seul regret pour Henriette: qu'il n'y ait "plus beaucoup de monde", les jeunes partant "parce qu'il n'y a pas de travail".
"De manière plutôt globale, la population des îles du Ponant est en diminution", explique Denis Palluel, maire d'Ouessant et président de l'Association des îles du Ponant, 15 territoires de la Manche et de l'Atlantique non reliés au continent. Malgré le départ de nombreux jeunes et le vieillissement de la population, il assure que certaines îles regagnent des habitants, comme Belle-Ile-en-Mer ou l'Ile d'Yeu, toutes deux habitées par quelque 5.000 personnes à l'année. Ce n'est pas le cas des îles plus petites comme Ouessant, Molène ou Sein, moins peuplées, plus éloignées et moins bien desservies. "Je suis plutôt optimiste", assure cependant l'édile, se félicitant des sept naissances enregistrées en 2014 dans la commune, qui a perdu plus de 2.000 habitants en cent ans.
Des enclaves à bobos ?
"Il y a des difficultés, mais il y a quand même une qualité de vie et un côté sécurisant qui sont appréciés", vante-t-il, assurant "mener un combat de tous les jours pour gagner un emploi ou tout simplement ne pas en perdre". Louis Brigand, géographe à l'Université de Bretagne occidentale (UBO), constate un "frémissement" sur les îles, qui attirent de nouveau en raison de leur mode de vie, plus proche de la nature et plus solidaire.
"Des habitants sur les îles, il y en aura toujours", assure-t-il, disant craindre cependant qu'elles ne deviennent des "enclaves à bobos", en raison des difficultés à y trouver un emploi, à se loger -la construction d'une maison y coûte de 30 à 40% plus cher que sur le continent- et à créer une entreprise en raison du manque d'espace.