
C’est un sujet qui monopolise nos vies quotidiennement, presque dans chacun de nos faits et gestes maintenant. La réduction des gaz à effet de serre (GES) réclame inéluctablement un effort de chacun, comme le rappellent plusieurs organisations scientifiques et intergouvernementales. L’ensemble des États, des entreprises et des populations sont concernés afin que nos futurs modes d’habitat, de consommation et de déplacement ne contribuent plus à accélérer davantage le réchauffement climatique. Mais ce n’est plus l’unique but. Désormais commence à s’intégrer dans nos consciences que la manufacture de produits utilisant des ressources fossiles (charbon, pétrole, gaz), qui mettent quelques millions d’années à se produire, doit à terme, migrer vers des matières premières à renouvellement rapide et/ou utiliser des produits qui peuvent se recycler. L’équation est simple. En partant d’un stock donné qui ne peut pas évoluer (suffisamment vite) à l’échelle de nos besoins, l’extraction en continu ne peut aller que vers sa disparition. Donc, vient le moment de s’interroger sur l’impact global de nos sorties en mer, de nos navigations. Selon les études de l’Ademe (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) 2,9 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre proviennent du secteur maritime, dont 87 % concernent les navires commerciaux. À lire ces chiffres, le secteur de la plaisance représenterait moins d’un dixième de pourcent des rejets mondiaux. Cela peut amener un sentiment de déculpabilisation ou d’attentisme, mais ce serait omettre l’inertie que les difficultés technologiques et structurelles imposent. À titre d’exemple, et malgré les efforts consentis, les bateaux à motorisation électrique n’excèdent encore pas plus de 2 ou 3 % des ventes. Quant aux bateaux en fibre végétale et résine recyclable, ils sont encore au stade de prototypes ou séries confidentielles. La route semble donc assez longue avant que l’évolution de la technologie nous permette d’arriver à sortir de l’ère fossile.
La règle de trois

Si le regain d’intérêt pour toutes ces nouvelles technologies est bien palpable sur les salons et chez les concessionnaires, au moment de signer le bon de commande, ces options « vertes » sont encore trop peu cochées, comme en témoignent certains directeurs commerciaux. Trop d’incertitudes sur la fiabilité, pas assez d’autonomie ou de vitesse, et une coque en fibre de lin résistera-t-elle ? Les arguments sont encore nombreux pour justifier le report de ces bonnes intentions. Selon une étude menée par le Protocole GHG (une norme de comptabilisation des gaz à effet de serre) sur une période de vingt ans, 80 % de l’empreinte carbone seraient liés à l’utilisation du bateau et 20 % issus donc de sa fabrication. Ces pourcentages étant à prendre avec prudence. Les voiliers, qui sont déjà des hybrides par définition, pourraient générer une répartition plus proche de 50/50. Pour l’utilisation, le but est de remplacer le carburant fossile. Pour la fabrication, cela comprend deux paramètres : les matériaux qui sont employés pour la construction (résine, fibre, bois, tissu, métaux, mousse) mais aussi tous les autres postes de dépenses énergétiques. Il faut des ateliers chauffés et éclairés, alimenter des machines, déplacer des employés et toute une logistique pour acheminer les produits composants et finalement livrer le bateau à son acquéreur. Ce sont tous ces flux physiques de personnes, d’objets et donc d’énergie qui doivent être pris en compte pour établir le bilan carbone qui lui-même servira de base pour chercher à réduire les émissions.
De ces trois proportionnalités énergivores : utilisation sur l’eau, matériaux de construction et fabrication, pourrions-nous appliquer la fameuse règle de trois définissant la quatrième proportionnelle ? C’est-à-dire l’adhésion des acheteurs sans qui rien n’est possible. Oui, serions-nous tentés de répondre à la lumière des initiatives et des efforts de nos industriels et artisans nautiques dans chacun de ces domaines. Car malgré les ultimatums légaux de réduction d’émissions, les hausses du prix de l’énergie ou l’adoption de certaines matières, c’est bien le bénéfice en agrément, en fiabilité, en économie et en cohérence qui convaincra les plaisanciers.
La filière nautique l’a bien compris et s’est organisée pour harmoniser une méthodologie et des outils de mesure de l’impact du cycle de vie du bateau (ACV). Sous l’égide de l’European Boating Industry (EBI), 17 constructeurs se sont regroupés pour développer une norme de calcul scientifique permettant d’orienter l’écoconception des bateaux de moins de 24 mètres sur la meilleure voie possible.

Une offre de motorisation qui s’élargit lentement mais sûrement


Cette année, les motorisations électriques, que ce soit avec un montage en série ou en parallèle, marquent encore une évolution. Pour les montages en série, la transmission par arbre d’hélice semble se développer. Avec moins de frottements et de renvois, le rendement est meilleur. Cela convient particulièrement pour les voiliers de croisière ayant besoin de beaucoup d’autonomie. Du côté du montage en parallèle, la plus forte évolution est attendue suite aux tests du Jeanneau NC 37 hybride Volvo, qui durent depuis plus d’un an. Les premiers essais sont assez concluants puisqu’ils montrent que le système d’hybridation, complètement automatisé, exempte le pilote d’une gestion particulière, comme c’est le cas sur les voitures actuellement. « Mais l’augmentation de 25% du tarif est encore dissuasive et ne se tolère plus que sur les unités de grand luxe » nous confie Eric Stromberg, du groupe Beneteau. L’Azimut Seadeck 6 et certains motoryachts du groupe Beneteau pourraient bien en être équipés dès le Yachting Festival de Cannes en septembre prochain pour le premier, 2025 pour les autres. Côté voiliers, le groupe Fountaine Pajot-Dufour équipe ses catamarans Aura 51 et ses monocoques d’une motorisation Smart électrique développée en interne. Afin de les faire découvrir, et de s’accoutumer à ces modes propulsifs, le loueur Dream Yacht en a commandé une dizaine.


Fourniture et gestion d'énergie

Avec ce besoin de puissance électrique, l’obtention de l’énergie devient cruciale. Dans ce domaine, on assiste à un recouvrement de plus en plus important des surfaces disponibles à bord. Les New Windelo 50 et 54 en sont la démonstration. Rouf et plages avant ont été redessinés pour accueillir une surface de panneaux solaires, plus importante et intégrée. Une puissance d’au minimum 4 à 5 kWc semble le standard minimum pour assurer la vie à bord. Pour ne pas avoir recours au groupe électrogène, seuls les voiliers rapides paraissent capables d’hydrogénérer suffisamment de courant pour alimenter des moteurs électriques, mais là encore la technologie évolue. En dessous de 10 nœuds, le niveau de recharge actuel (entre 0,3 et 0,6 kW) conviendra seulement pour la gestion du bord. Afin d’éviter de faire marcher le groupe électrogène diesel, d’autres sources comme les éoliennes font partie du mix énergétique qui, par l’addition de plusieurs contributeurs, peuvent optimiser le niveau des batteries. La pile à combustible à hydrogène fonde aussi beaucoup d’espoir pour remplacer le pétrole, mais les approvisionnements d’hydrogène jusqu’à nos bateaux sont encore au stade du balbutiement.

Matériaux naturels et recyclables


L’objectif tend à produire des bateaux avec des matériaux suivant un procédé de reproduction court, moins polluant et/ou recyclable. Comme pour la motorisation électrique, des chantiers nouvellement créés, par et pour une empreinte écologique minimisée, ont commencé depuis quelques années à construire à l’aide de matériaux plus neutres pour l’environnement. C’est le cas de Windelo qui utilise de la fibre de basalte et de la mousse PET pour réaliser les coques et structures de ses catamarans. L’inconvénient est que cette fibre est trois fois plus chère que la fibre de verre. Quant à la mousse PET elle a besoin d’une densité 30 % plus importante pour afficher la même résistance. Le panachage est donc opéré pour garder un devis de poids acceptable en regard des performances. Pour des chantiers de moyenne production, la prise de risques est déjà plus conséquente, car leur notoriété a été bien établie sur des bases conventionnelles difficiles à remettre en question.
Néanmoins, Neel a aussi introduit de nouveaux matériaux. Sur le 43, de nombreuses pièces non structurelles dans les aménagements comme des contre-moules adoptent un sandwich qui intègre un tissu verre/lin de 300 g/m2 et une âme en liège. Chez Prestige Yachts, on utilise aussi des mousses recyclées pour l‘âme des coques ainsi que du balsa. Sur un motoryacht puissant, l’incidence est moindre.Chez Outremer, après avoir construit, partiellement en fibre de lin, le 5X de Roland Jourdain, on reste encore timide pour proposer ce type d’innovation. Les marques ne peuvent se résoudre à revenir en arrière sur les acquis de performance. Le but est d’aller vers des cycles plus vertueux, mais à condition de pouvoir proposer des produits équivalents à ceux d’aujourd’hui, voire mieux et à un prix attractif.
Dans ce sens, Damien Jacob, responsable produit voile du groupe Beneteau, nous confie qu’il n’est pas facile de trouver le juste curseur. « Nous utilisons, petit à petit, plus de fibres naturelles et de résines biosourcées. Les petites pièces (panneaux de pont, mobiliers) sont produites sur ce mode. Cela peut sembler peu, mais à l’échelle du groupe, cela équivaut à plus d’une centaine de bateaux entiers. Nous produisons également une série d’une vingtaine de Sun Fast 30 One Design avec de la résine Elium d’Arkema. Cela nécessite d’adapter notre savoir-faire car il faut trouver le bon compromis poids/rigidité. Nous le faisons en partenariat avec Multiplast et les vingt nouveaux modèles ne présentent aucune différence avec les premiers fabriqués de manière conventionnelle. Pour les croiseurs, un First 44 entièrement construit à partir de cette résine recyclable est en test depuis un an et l’on envisage de l’utiliser, à court terme, pour la production des grands modèles du groupe comme l’Oceanis 60 ou les Jeanneau Yachts car l’écart de prix est plus facilement assimilable. Enfin l’emploi systématique de l’iroko en remplacement du teck a très bien été accepté par la clientèle.»

La décarbonation de la production

Les bateaux de plaisance sont des produits volumineux, lourds à déplacer. Leur fabrication nécessite beaucoup d’espace et d’énergie. C’est plus impactant pour les grands chantiers d’où sortent des centaines de bateaux en comparaison des petits chantiers qui réalisent tout au plus quelques unités par an. Si l’on prend l’exemple d’un seul des 22 sites de production du groupe Bénéteau, la consommation s’élève à six millions de kWh d’électricité et dix millions de kWh de gaz par an ! Si l’on y rajoute la consommation des autres unités de production, on comprend aisément que la direction ait entrepris une démarche volontaire en dépêchant 53 de ses collaborateurs à bord de « The Arch » dans le cadre de son programme, B-Sutainable, stratégie de son RSE à l’horizon 2030. De simples mesures, comme le fait de passer par la petite porte au lieu du grand portail, comme organiser les équipes sachant que dix compagnons auront besoin d’autant d’énergie qu’une centaine, peuvent avoir une influence sur la note en fin d’année. Les trois gros leviers sur lesquels agir sont l’extraction/ventilation, le chauffage hivernal, la compression d’air pour l’infusion. Des résolutions de bon sens, mais qui demandent l’adhésion de tous, peuvent donner des résultats impressionnants. « Sur sept ans, l’économie d’énergie est de 35 % » nous précise Eric Greaud, qui est responsable de l’application de ces normes pour le groupe. L’eau est aussi au centre des enjeux. Pour le lavage des bateaux en fin de cycle de production, un premier boatwash a été inauguré, qui permet de diviser par cinq le besoin d’eau. Le groupe Fountaine Pajot a de son côté établi un plan stratégique. L’aspect industriel du plan Odysséa 24 a pour but d’améliorer les procédures de production sur l’ensemble du cycle de vie des bateaux, afin de réduire l’impact de la fabrication et de l’utilisation sur l’environnement. Réduire l’empreinte environnementale de l’industrie nautique est une succession de défis et de petites actions. Cela implique d'inventer des solutions techniques valables, de créer des partenariats et de réaliser des investissements autant humains que financiers.

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