Givrés ?
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Ces fameuses portes des glaces qui, dans cette nouvelle édition du Vendée Globe, imposent une route beaucoup plus nord pour s’écarter des icebergs, permettent d’éviter aussi un autre danger, le givrage.
Pour l’admirateur de la nature le givre est le merveilleux dépôt de cristaux de glace qui se forme lorsque l’eau en surfusion, c’est à dire encore à l’état liquide alors que de température négative, entre en contact avec un élément solide… un brin d’herbe ou même le fil d’une toile d’araignée suffit parfois.
Pour le terrien plus chagrin, le givrage est synonyme de grattage du pare-brise au lendemain d’une nuit d’hiver étoilée qui a laissé la voiture se refroidir par rayonnement et l’humidité se congeler subitement au contact de son pare-brise glacé.
Pour l’aviateur, le givrage est synonyme de problème lorsque le maintenant trop célèbre tube de Pitot ne peut plus mesurer sa vitesse, ou pire lorsque son carburateur (avion d’aéroclub) trouve le moyen (par dépression et évaporation de l’essence) de baisser la température de l’air qu’il aspire dans des proportions telles que 10°C et 80% d’humidité deviennent des conditions propices à son obstruction par la glace. Le pilote a appris que l’eau peut être en surfusion par –30°C.
Pour le marin, c’est une autre histoire. Un plaisancier qui goutte au plaisir d’une navigation par beau temps un petit matin de février aura appris que la belle glissade qu’il effectue sur son pont est évidemment due à la surprise que lui réserve son antidérapant recouvert d’une surface presque invisible de glace formée à la faveur du rayonnement nocturne.
Au large, même dans le grand sud, le givrage n’est pas vraiment dangereux si le skipper intervient au fur et à mesure, mais il peut dégrader sérieusement la performance, voire isoler ou bloquer les instruments de navigations (radar, antenne, anémomètre).
Par vent faible, l’air humide d’une perturbation entrant en contact des superstructures peut déposer une couche de givre, en particulier sur les structures métalliques, mais l’accumulation ne sera pas rapide.
Si le givre attaque par gros temps, le danger est tout autre. Le vent arrache des embruns à la mer et, lorsque la température de l’air est inférieure à celle du point de congélation de l’eau, la cristallisation intervient dès la rencontre avec le bateau. La congélation de l’eau dépend de sa salinité, c’est à dire pour les océans de la perte d’eau douce (évaporation) ou de son apport (fonte des glaces, pluies, fleuves). L’eau douce congèle à 0°. L’eau relativement peu salée comme celle de l’océan Antarctique, 35 grammes de sel par litre d’eau, congèle à –2°C.
Le givrage des embruns dépend donc de la température de l’air, de celle de la mer, de la force du vent et de l’état de la mer.
Un bateau du Vendée Globe sera soumis au givrage d’intensité dite modérée pour une température de l’air de -5° avec une température de la mer à 6° et un vent de force 6. Dans de mêmes conditions de températures, cette intensité devient forte par vent de force 8, très forte par vent de force 10. Lorsque vous saurez que ces trois seuils correspondent respectivement à des accumulations de glace de 5, 10 et 15cm en 24h et que cette glace s’amassera toujours du côté au vent… vous souhaiterez vraiment voir le skipper multiplier les virements de bord même si ce n’est pas optimal pour sa course. En particulier, il n’est pas envisageable de se mettre à la cape pour attendre que cela se passe… les anciens, qui ne pouvaient faire autrement, voyaient dans ces conditions leur gréement s’effondrer sous le poids de la glace quand ce n’était pas le chavirage total du bateau perdant son équilibre sous la surcharge d’un seul bord.
Je ne suis pas sûr que la direction de course ait pensé à ces terrifiantes images lorsqu’elle a donné ce nom de « portes des glaces » à ces passages obligés dans des zones plus clémentes.
PS : Ces photos de structures glacées ont été prises en février 2012 sur le bord du lac Léman. Eau douce, donc. Mais soyez en convaincus, l'eau de mer est capable de faire aussi bien !