Quand la météo change les ordonnances
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L'automne met nos nerfs à rude épreuve alors que dire des marins partis sur l'Atlantique ? Ils sont costauds, mais ils puisent au plus profond de leur réserve pour atteindre les plus hauts sommets de la compétition.
C’est pour des raisons météo que les courses transocéaniques au départ de l’Europe se font à l’automne. On cherche à naviguer sans être menacé par les cyclones tropicaux qui sévissent de juin à octobre sur l’Atlantique Nord, et avec de préférence un bon alizé qui s’installe en même temps que l’anticyclone d’hiver sur les Açores. Mais comme on ne peut pas toujours tout avoir (le beurre, l’argent du beurre et …) il faut faire avec les dépressions du système perturbé qui affectent alors nos régions.
Vous avez remarqué, dans ces derniers mots, comme le vocabulaire météo peut sentir le médical. Il peut sentir aussi l’économique mais c’est une autre histoire.
L’automne est anxiogène.
Pour Monsieur ou Madame Toutlemonde, on le sait, c’est quasi mécanique, la diminution de la température et l’augmentation de la longueur de la nuit, intensifient les troubles anxiogènes. Il n’y a pas que cela. Les variations barométriques qui s’accompagnent de changements brutaux du vent et de l’humidité au passage des perturbations, réveillent des douleurs articulaires, des pressions sur les terminaisons nerveuses, des migraines. Des études tentent de démontrer que les basses pressions barométriques affectent nos corps en amenuisant la force gravitationnelle. On se sentirait alors plus lourd. Puis, les hautes pressions et l’air sec des anticyclones apportent un léger répit. Mais en automne ces changements sont rapides et répétés, notre mécanique a du mal à suivre. Au lieu de nous dérouiller, cet « effet yoyo » induit, en nos points sensibles, un stress répétitif qui n’a rien de réparateur.
Pour Monsieur ou Madame Skipper, cette saison 2013 a été, du point de vue météo yo-yo, particulièrement éprouvante. Le paroxysme de la douleur a sans doute été atteint lors des épisodes « départs reportés », par principe de précaution, tant pour la Transat 6.50 que pour la Transat Jacques Vabre.
La première, dont le départ de Douarnenez devait pourtant permettre une « expectoration » efficace du Golfe de Gascogne, a vu son départ annulé le dimanche 13 octobre sans perspective de rétablissement rapide. Longue et pénible incubation durant laquelle les coureurs se consolaient sur le mode « il suffit de penser dans quel état on serait si on était parti ». Attente anxieuse pour une flotte qui connaît des piques de fièvre avec un départ possible dans les prochaines 36h annoncé le 23 et chute de tension avec un nouveau report décidé le 24 octobre. Enfin une libération entre deux dépressions le 28 mais dans une ambiance de toux souffreteuse qui se traduit par des abandons en série.
Ici, je ne résiste pas à l’envie de vous donner la description (un peu édulcorée, il est vrai) de la toux par wikipédia : « contraction spasmodique soudaine et souvent répétitive, dont résulte une expulsion violente d'air usuellement accompagnée d'un son distinctif.» Pour le son, je pense que l’on parle du vent dans le gréement qui sait jouer, en plus fort, le registre des cordes vocales.
En mer, malgré le mal de mer on est là pour ça, les choses devraient s’arranger. Mais, convalescence fragile ou peut-être même infection nosocomiale, rechute de la pression atmosphérique et du moral, hausse des vagues et de la fatigue… le médecin directeur de course décrète une pause pour permettre un meilleur rétablissement dans un port espagnol.
Ne poursuivons pas ce bulletin de santé jusqu’à l’arrivée, la luminothérapie alizéenne, les coups de chaleurs tropicales, les brûlures au soleil… on le devine, météo et bobo iront de pair jusqu’au bout.
Les concurrents de la Transat Jacques Vabre auront eux aussi connu les affres du départ reporté. Puis vient tout de suite, pour les pilotes de multicoques, le stress que le commun des mortels ne peut pas imaginer jusqu’à ce qu’une vague traitresse vous mette sur le dos et vous immobilise, comme stoppé net par une lombalgie paralysante dont on ne se remet pas sans l’aide de secours. Antiinflammatoire, ostéo, on peut tout essayer mais c’est surtout de patience qu’il faut s’armer pour se reconstruire. A l’autre extrémité de la longue chaîne des états d’âme, les vainqueurs, déjà arrivés après à peine plus de 11 jours de course, se relâchent complètement. Maintenant ils sont pris d’une certaine ivresse avec la terre qui bouge sous leurs pieds alors que les vagues, normalement, sont restées en mer. La météo les a tellement sollicités, les corps ne s’en remettent que peu à peu. Et puis il y a cette fameuse dette de sommeil qu’il faut rembourser aussi.
Si Monsieur ou Madame Toutlemonde se plaint des effets de la météo c’est souvent pour exprimer sa propre anxiété. La psychanalyste Marie Romanens dit que « C'est une façon de signifier son mal-être tout en restant dans son quant-à-soi.»
Si Monsieur ou Madame Skipper se plaint de « passages à vide » liés à une météo contrariante, c’est avec les autres qu’il revit mentalement sa course. Il cherche les remèdes qui lui permettront, peut-être, la prochaine fois, à l’aide d’un vaccin ou d’un traitement homéopathique, de ne pas subir mais d’utiliser l’instabilité du vent. En tout cas, partager ses souvenirs aide au retour à terre.
De mon côté, pas moins de cinq velux pour éclairer mon bureau : je suis en luminothérapie permanente.