Le tracé des formes

Par Antoine Mainfray

Une fois la liste des envies couchée sur le papier, il est temps de donner un cadre chiffré au projet. Définir une longueur hors tout ou une longueur de coque, une largeur, un tirant d'eau. Estimer, au vu du programme, quelle sera la masse du bateau, est un élément clef à ce stade. De cette première approximation dépendra la conception de la carène du bateau, de ses formes immergées.

Selon le fameux principe découvert par Archimède dans sa baignoire, et selon lequel, "tout corps plongé dans l'eau en ressort mouillé", ou sa version scientifique "tout corps plongé dans un liquide reçoit une poussée équivalente à la masse de liquide déplacé", nous allons devoir donner à la carène un volume équivalent à un déplacement d'eau, lui même équivalent à la masse estimée du navire.
Si l'embarcation rêvée est estimée à 3 tonnes, il faudrait alors obtenir un volume de carène de 3 mètres cube ? Faux, dirait un fameux faiseur de vidéos, à moins de naviguer sur un plan d'eau lacustre ! L'eau de mer à une densité supérieure à l'eau douce, et est en moyenne de 1,025 Tonnes / m³. Nous obtiendrions donc pour notre exemple précédent un volume 'cible' de 2,92 m³. C'est pour cela que l'on flotte mieux dans l'eau salée !

Nous avons donc un volume permettant de flotter. Mais tout juste ! Il faut donc 'surélever' ce volume par ce que l'on appelle la hauteur de franc-bord, soit la hauteur de coque située entre le niveau de l'eau et le pont.
Son utilité est multiple : tout d'abord, lorsque le bateau gîte, le pont ne se retrouve pas immédiatement sous l'eau. Ensuite, le franc-bord est un facteur essentiel en ce qui concerne la protection du pont et de l'équipage face aux vagues et aux embruns. Si sur un dériveur de plage 20cm de franc-bord suffisent à assurer les qualités hydrodynamiques, un voilier hauturier aura besoin de beaucoup plus pour éviter d'être submergé à chaque vague rencontrée. Enfin, cela permet de donner un certain volume intérieur à la coque, indispensable si le navire est voué à être habitable.

Si l'on compile donc nos données et contraintes précédentes (longueur, largeur, hauteur de franc-bord et volume immergé) nous obtenons donc une magnifique coque aux lignes comparables à une boîte à chaussure (ou tout autre objet sensiblement cubique de votre choix).
Il nous faut donc donner un peu de subtilité à ces lignes brutes, afin de rendre notre création plus hydrodynamique, plus élégante, en bref, plus adaptée à son usage. (NB : parfois l'usage permet d'arrêter la définition des formes à ce stade, notamment pour des pontons de travail, barges et autres établissements flottants). Nous nous aidons pour cela d'un ensemble de coefficients, permettant de comparer les formes de la carène en gestation à des formes élémentaires :
- le coefficient de bloc ou coefficient de remplissage, qui compare le volume de la carène à celui du parallélépipède dans lequel elle s'inscrit (voir schéma "Coef bloc" ci-dessous)
- le coefficient prismatique quand à lui compare le volume de la carène à celui défini par l'extrusion du maître couple (la section la plus grande de la coque) sur la longueur de flottaison (voir schéma "Coef prismatique" ci-dessous).

En gros, à volume de carène donné, plus ces coefficients sont importants, plus on restera proche des formes de notre boîte à chaussures originelle. Les maxi porte-conteneurs et autres navires de charge ont des coefficients de bloc et prismatiques extrêmement élevés (0,7 à 0,9), ils recherchent avant tout à maximiser le volume disponible pour la cargaison. Un voilier ou un navire rapide aura plutôt tendance à être dans la fourchette basse (0,4 à 0,6).

Un autre élément non négligeable à prendre en compte est la surface mouillée. Plus elle est importante, et plus les frottements de l'eau sur la coque le seront. Ce point n'est pas toujours évident à concilier avec des lignes tendues favorables au planning !

Ne pas oublier au passage que si le navire est à voile, il naviguera la plupart du temps gîté ! Donc autant de cas de figure à vérifier que d'angles de gîte !

Enfin, les matériaux et le mode constructif envisagé auront eux aussi leur mot à dire dans cette affaire, déjà pour le moins alambiquée ! Sil le navire doit être construit en acier ou en aluminium sans nécessiter de formage complexe des tôles, la coque doit être constituée de surfaces développables, soit des portions de cylindres ou de cônes ! La contrainte est la même pour le contreplaqué, c'est ce qui a donné lieu à ce splendide bouleversement des codes esthétiques (couplé à la révolution sociale de l'accès à la navigation pour le plus grand nombre) dans les années 60 grâce aux Fireball, Corsaire, Muscadet, et l'universel Optimist ! C'est ce que l'on appelle les coques à bouchains vifs (car toutes les coques, même les plus rondes, ont un bouchain, mais pas forcément vif !).

La coque d'un navire est traditionnellement définie par ses contours (lignes de quille et de livet, étrave, tableau arrière) ainsi que par un ensemble de sections. Les sections transversales (couples), les sections horizontales (lignes d'eau), et les sections verticales. Le plan représentant la coque à l'aide de ces tracés est appelé le plan de formes.

Pour approfondir le sujet, les ouvrages de D. Paulet avec D. Presles, ainsi que ceux de P. Gutelle et L. Larsson, sont infiniment plus détaillés que ce petit article. Le livre de B. Ficatier sur le relevé et le dessin des plans de voilier permet également d'appréhender les tracés des formes.

Un peu de saine lecture avant d'aborder le sujet suivant : comment faire avancer cette si belle carène ?

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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