
La formule émane du Suisse Dominique Wavre et résume bien la situation vécue par les huit solitaires qui naviguent dans un Océan Indien inhospitalier.
Peu de changements au classement de mardi à 16 heures. Armel Cléac’h (Banque Populaire) caracole toujours en tête de la flotte devant Jean-Pierre Dick (Virbac Paprec), François Gabart (Macif) et Bernard Stamm (Cheminées Poujoulat). Toujours au contact, les quatre leaders du Vendée Globe se tiennent en 77 milles. Les écarts varient seulement de quelques milles en fonction des oscillations du vent et de la capacité de chacun à pousser la machine plus ou moins à ses limites. Comme ces derniers jours, les vitesses de progression des bateaux de tête sont élevées, entre 18 et 20,5 nœuds, dans un vent de sud-ouest de plus de 25 noeuds. Qu’ils en profitent pour allonger la foulée car à l’approche de la porte de Crozet, stationne au nord un anticyclone qui les attend de pied ferme.
Derrière, Alex Thomson (Hugo Boss) continue sa belle résistance et ne lâche pas prise. Difficile par contre pour le trio Mike Golding (Gamesa), Jean Le Cam (SynerCiel) et Dominique Wavre (Mirabaud) qui voit à chaque lecture des positions les leaders prendre la poudre d’escampette.
La violence de l’Indien...
Ce qui frappe ce mardi, ce sont surtout les témoignages (lire ci-dessous) des solitaires. Ils sont unanimes. La rudesse de l’Océan Indien ne leur laisse guère de répit. Dans ces mers chaotiques, ces vents variables et violents, les bateaux souffrent. Les navigateurs parlent des masses d’eau qui submergent littéralement le pont du bateau, des étraves qui plongent dans la vague précédente quand le voilier part au surf, des craquements sinistres quand les quelques tonnes de carbone s’écrasent à l’arrière d’une vague trop abrupte. Face à cette situation, les solitaires se divisent en deux camps. Les pragmatiques froids analysent avec lucidité les contraintes que subit leur outil de travail, et se reposent sur les calculs de résistance des matériaux des bureaux d’études. D’autres ont une relation plus charnelle avec leur monture et n’hésitent pas à cajoler leur bichon, lui parler, lui donner des petits noms. Dans un cas comme dans l’autre, il faut une part de fatalisme, faire confiance à son bateau, s’habituer au vacarme, aux mouvements désordonnés et finir par considérer que ce qui était, hier encore, insoutenable est parfaitement tolérable aujourd’hui. Chacun voit midi à sa porte.
La belle route de De Broc
C’est le cas de Bertrand de Broc (Votre Nom autour du Monde avec EDM Projets) qui en contournant l’anticyclone de Sainte-Hélène par l’ouest, a renoué avec la pureté de certaines figures géométriques, décrivant une courbe harmonieuse vers les 40e. Mais surtout, le navigateur aux 4000 sponsors déboule à plus de 15 nœuds de moyenne. Onzième après avoir croqué Tanguy de Lamotte (Initiatives-cœur), nul doute qu’il aimerait bien accrocher à son tableau de chasse l’Akéna Vérandas d’Arnaud Boissières. Mais avec un bateau de même génération et l’expérience d’un tour du monde sous la quille, il n’est pas dit que la brebis vendéenne se fasse croquer sans résistance par le loup cornouaillais. Pour Javier Sanso (Acciona 100% EcoPowered) comme Alessandro Di Benedetto (Team Plastique), une navigation toute en méandres témoigne de leur volonté de couper au plus court sans pour autant se faire piéger par Sainte-Hélène, toujours aussi pugnace.
LES VOIX DU LARGE
Dominique Wavre (Mirabaud) : « Reaching dans un shaker ! Difficile de trouver le réglage moyen, le vent forcit et mollit à chaque nuage. La mer reste forte, les déferlantes arrivent par le travers, on prend de beaux coups de gite sans forcément accélérer. Le terrain de jeu est très confus aujourd'hui. D'une part la longue houle d'Ouest permet au bateau de surfer, et d'autre part les vagues croisées l'en empêchent en secouant la carène dans tous les sens à chaque accélération. Mirabaud tape beaucoup, il y avantage à bien se tenir ! Derrière cette dépression, un anticyclone nous menace avec le risque de se faire piéger dans la molle. Deux stratégies : faire route directe, ou plonger au sud pour garder un peu plus de vent mais se rallonger la route. Dans tous les cas il faudra un peu de chance pour s'extirper de là. L'eau s'est nettement refroidie. Allez, je repars aux réglages ! ».
Bernard Stamm (Cheminées Poujoulat) : « Il y a des manœuvres. Ce n’est pas facile. Il faut que ça se stabilise car c’est un peu le rodéo des mers. Le cheval a plutôt tendance à enfourner un peu. Le bateau prend de la vitesse et s’écrase dans la vague après. Il y a beaucoup d’eau qui passe par-dessus le bateau. Ce n’est pas facile. Je ne sais pas trop quelle voile mettre. Il faut essayer pas mal de choses. Si la mer me laissait aller comme je voulais, j’irai plus vite. Je ne sais pas la raison exacte grâce à laquelle je suis revenu (ndlr : sur le trio de tête). J’ai peut-être profité des vents. J’essaye d’aller plus vite que les autres. Les albatros viennent vraiment près. C’est sympa. Mais c’est vrai que quand tu fais un boulot de titan pour aller vite et que tu vois un albatros qui fonce à coté de toi sans battre des ailes, c’est énervant ».
François Gabart (Macif) : « Le jour où ils ont déplacéla porte, j’ai tout de suite regardé et je savais que c’était chaud. Je ne vais pas trop trainer sur le chemin car, plus on va arriver tard là-bas, plus on aura du vent faible. Il y a beaucoup de vent et ça a été un peu sport ce matin. Mais je ne me plains pas, j’ai pas mal dormi cette nuit. Hier, ça a été super dur car le vent était très instable. Je suis passé au près, au portant donc j’en ai bien bavé et ça m’a pas mal fatigué. Mais en général, ce sont plutôt des conditions sympas ».
Jean Le Cam (SynerCiel) : « Chaque jour est différent. Cette nuit, il y a eu pas mal de vent. Il y avait de l’air dans la dépression mais là ça a tendance à se calmer. Ça ne fait pas de mal. Mais cette nuit, la mer déferlait donc ce n’était pas facile à gérer. La stratégie va être celle de tout le monde, à savoir éviter l’anticyclone qui se présente. Mais pour le moment, ce n’est pas facile ».
Alessandro Di Benedetto (Team Plastique) : « C’est un plaisir fou de naviguer sur ce bateau. Je peux courir sur le pont et rester debout. Et puis il va beaucoup plus vite que le 6,50. C’est fantastique. C’est une course magnifique, je n’ai pas de mot pour le dire. Le bateau va bien. Pour le moment, je suis à 12-13 nœuds parfois 14. Le vent est très variable. Il varie entre 12 et 20 noeuds. Je suis au portant avec grand-voile, un ris et grand gennaker. Je vais me préparer à empanner d’ici deux heures pour descendre dans le sud-est pour un long bord d’environ 500 milles. Il y a une basse pression qui arrive donc je vais essayer de l’exploiter. On ne peut pas s’arrêter mais on passe à côté de choses incroyables, des îles, des animaux qu’on ne peut voir que dans certains endroits. C’est fantastique de pouvoir les observer de près dans la réalité ».
Tanguy De Lamotte (Initiatives-cœur) : « Je fais du tourisme. Je suis en train de passer à côté d’une île qui s’appelle « Inaccessible Island ». Je suis au plus proche. C’est dans l’archipel de Tristan da Cunha. Je vais pouvoir voir deux îles. J’ai fait plein de photos, c’est très joli. Je suis passé à côté d’une nappe d’oiseau, c’était vraiment incroyable. J’ai pris la barre mais pas très longtemps, quinze minutes environ. Les conditions sont sympas donc je vais peut-être la reprendre un peu. En plus ça repose un peu le pilote (ndlr : le pilote automatique) ».
CLASSEMENT
Positions du 04/12 à 16 heures : 1.Armel Le Cléac´h (Banque Populaire) à 17 475 milles de la ligne d’arrivée; 2.Jean-Pierre Dick (Virbac Paprec) à 53 milles du leader; 3.François Gabart (Macif) à 61 m; 4.Bernard Stamm (Cheminées-Poujoulat) à 77,8 m: 5.Alex Thomson (Hugo Boss) à 207,1 m; 6.Mike Golding (Gamesa) à 508,7 m; 7.Jean Le Cam (SynerCiel) à 551,6 m; 8.Dominique Wavre (Mirabaud) à 586,1 m; 9.Javier Sanso (Acciona 100% EcoPowered) à 1 135,8 m; 10.Arnaud Boissières (Akéna Vérandas) à 1 640,7 m; 11.Bertrand De Broc (Votre Nom Autour du Monde avec EDM Projets) à 1 793,4 m; 2.Tanguy de Lamotte (Initiatives-coeur) à 1 825,2 m; 13.Alessandro Di Benedetto (Team Plastique) à 2 301,9 m. Abandons : Marc Guillemot (Safran); Kito de Pavant (Groupe Bel); Samantha Davies (Savéol); Louis Burton (Bureau Vallée); Jérémie Beyou (Maître CoQ); Zbigniew Gutkowski (Energa); Vincent Riou (PRB).