
FIGARO NAUTISME. - Thomas Coville disait que le Vendee Globe manque de presence feminine. Qu'en pensez-vous?
Catherine Chabaud. - Je suis d'accord. Il y a pas mal de navigatrices aujourd'hui qui ont le niveau pour courir cette course. Je pense par exemple a Jeanne Gregoire. Samantha Davies fait aussi beaucoup de bien a cette course meme si elle a du malheureusement abandonner. Les femmes apportent autre chose, elles font partager les emotions differemment et c'est positif pour la course.
Vous suivez particulierement Tanguy de Lamotte (Ndlr Catherine Chabaud est marraine de Mecenat Chirurgie Cardiaque, cause soutenue par le skipper). Comment jugez-vous sa course?
Il fait vraiment une tres belle course. Je le trouve bien dans son histoire, il est a sa place (12e, ndlr). Il a un bateau tres vieux mais il n'y prete pas attention et, malgre tout, reste a une place tout a fait honorable. Meme s'il ne fait pas la course pour la gagner, il reste un grand competiteur. Il a aussi un talent pour faire partager. Des qu'il fait quelque chose sur son bateau, il prend sa camera et le montre au public. Ca le rend tres attachant.
Comment voyez-vous la course en general?
J'ai un avis vraiment partage. Ca reste passionnant a suivre parce que la bagarre devant est tres serree et que ca reste le Vendee Globe. Mais les moyens de communication permettent trop de suivre la course. Entre les vacations, les medias, les sponsors mais aussi les familles, les marins restent tres lies avec la terre. Un comble pour un solitaire! Ce que je trouve ennuyeux, c'est qu'ils semblent y prendre plaisir... Personnellement, j'ai vecu mes moments les plus exceptionnels sur le Vendee Globe alors que tous mes moyens de communication etaient hors service. On rentre dans une communion parfaite avec la mer et on vit des moments de bonheur intense.
Apres, en ce qui concerne les portes des glaces, cela change beaucoup la course. Je pense que les skippers ne connaissent pas les memes mers du Sud que celles que j'ai connues. Elles restent rudes mais, aujourd'hui, ce sont plus les bateaux qui les rendent difficiles. Ils filent a de telles vitesses qu'il est complique de manier correctement le bateau. Je suis aussi tres surprise par la latitude tres Nord des glaces.
Quels concurrents suivez-vous avec attention?
Il y avait Samantha Davies. Elle est impressionnante de force. Quand je vois les abandons, je sens l'immensite de la deception que ressentent les skippers et je me rends compte de la chance que j'ai eu de boucler ce tour du monde. Il n'y a que Sam pour reussir a garder le sourire dans de telles circonstances.
Sinon, j'apprecie aussi beaucoup Alessandro Di Benedetto. Il apporte une grande fraicheur, une bonne humeur constante. C'est essentiel d'avoir des skippers comme lui dans cette course. Il realise quelque chose de grand mais je pense que ce qu'il avait fait avec son voilier de 6,50m etait plus impressionnant encore.
Il y a aussi Francois Gabart, que je connaissais deja un peu avant la course. C'est un garcon charmant, intelligent. Il a vraiment tout pour plaire. Meme si c'est son premier Vendee Globe, il semble etre deja tres experimente. Avec Armel (Le Cleac'h), ils forment un duo de tete tres interessant. C'est cette jeune generation figariste qui arrive et qui confirme tous les espoirs. J'affectionne aussi beaucoup Jean Le Cam. Quand on le voit etre oblige de plonger sous son bateau pour couper le filet attache a sa quille, c'est ca le Vendee Globe. Prendre un risque parce qu'on n'a pas le choix, et reussir.
Alessandro Di Benedetto justement, pense ecrire un livre sur ce Vendee Globe comme vous l'aviez fait apres votre premier tour du monde («Possibles Reves»). Peut-on retranscrire tout ce qu'apporte un Vendee Globe?
Il n'y a que dans l'ecriture a posteriori que l'on peut retranscrire toutes ces emotions. C'est le meilleur des moyens. Lorsque l'on repond sur le moment a des questions, on est dans l'emotion immediate, alors que lorsque l'on ecrit peu de temps apres ca devient de l'analyse. A la fin de mon premier Vendee Globe, j'ai du repondre a beaucoup d'interviews. J'ai notamment beaucoup parle de mon passage du Cap Horn et j'en avais les larmes aux yeux. Mais au fur et a mesure, j'ai eu ce sentiment que mon recit etait moins intense et j'ai tenu a ecrire ce livre pour que cette experience ne soit pas erronee dans mes recits futurs. Je voulais laisser une trace authentique et indelebile.
Pensez-vous a revenir sur cette course?
Non je n'y pense pas vraiment. Je ne suis pas sure que j'arriverais a maitriser les bateaux d'aujourd'hui tout en restant competitive. Ou, sinon, il faudrait que je me lance dans la course simplement pour le plaisir, sans avoir d'ambition. D'un autre cote, quand je vois cette edition, ca me replonge dans ce que j'ai vecu. Chaque fois que j'entends parler d'un endroit, je sais que j'y suis passee et que c'etait magnifique. Les albatros, l'anticyclone de Sainte-Helene, ce sont des choses tres agreables. Pour ces moments la, je les envie. Par contre, je n'envie pas du tout leur situation actuelle, ou ils sont comme dans un shaker. Aujourd'hui, j'ai un petit garcon qui va bientot avoir 7 ans et je pense que j'ai eu mon compte, pas forcement en competition mais plutot au niveau de l'experience. Je suis plus tentee par les croisieres, les explorations en famille.