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INTERVIEW. Avec quatre Vendée Globe à son actif, Marc Thiercelin fait partie des skippers qui totalisent le plus de participations à l'Everest des Mers. Dès la victoire de Titouan Lamazou en 1990, le navigateur de 52 ans est tombé sous le charme de cette course dont il a terminé deuxième lors de sa première participation.
Figaro Nautisme. - Comment jugez-vous ce Vendée Globe?
Marc Thiercelin. - Je le trouve pas mal. Je suis surpris, je ne m'attendais pas à ce qu'il n'y en ait que deux à l'avant, je voyais plutôt un groupe plus étoffé. J'aime bien le fait que ça aille vite devant mais ce n'est pas étonnant, les bateaux modernes sont faits pour ça. Il y a actuellement plusieurs petits groupes, ce qui crée des courses dans la course. Les deux de devants sont très forts. Il y a eu un écrémage plutôt anormal au début mais depuis le Brésil, ça va mieux. Désormais, ils sont dans le Pacifique qui est la partie la plus difficile. Lors de mes premiers Vendée Globe, on entrait dans le Pacifique avec 60 jours de mer alors que là, les leaders en avaient à peine 40. Ils seront donc peut-être plus en forme, plus lucides.
Que ressentez-vous en suivant la course depuis la terre?
Je n'aime pas du tout, je dirais même que j'en souffre. D'un côté, je voulais changer de catégorie de bateaux mais d'un autre je ne voulais pas rester sur l'épisode de 2008 (démâtage au bout de 2 jours). Paradoxalement, je n'ai pas de regrets de ne pas être au départ de celui-ci mais je ne veux pas rester sur 2008... J'ai aussi le souhait de faire du multicoque. J'avais été approché dans les années 90 par Loïck Peyron mais à cette époque, je n'avais d'yeux que pour le Vendée Globe.
Envisagez-vous de participer à nouveau au Vendée Globe?
Je ne sais pas. Ce n'est pas trop tard. A une époque, j'ai eu l'ambition, légitime je pense, de vouloir gagner le Vendée Globe. J'étais plus qu'addict à cette course. Ma 4e place en 2001 m'a blessé, parce que j'espérais mieux. Après, j'ai fait deux fausses routes en 2004 avec un bateau trop vieux qui m'a criblé de dettes, et en 2008 j'ai tenté le Vendée en début de projet avec DCNS alors qu'il aurait été préférable d'attendre la fin. Quand je vois la course aujourd'hui, les skippers sont plus affûtés et il y a des budgets énormes. Par contre, je ne pense pas que ce soit une question d'âge, je suis encore en forme et je veux continuer à naviguer.
Le Vendée Globe est-il ce que vous avez vécu de plus dur?
En intensité sportive, en tactique et en sommeil, je pense que le Figaro est ce qu'il y a de plus dur. Mais au niveau de l'aventure et de la gestion de la technologie le Vendée Globe est inégalable. Quand Titouan Lamazou a passé la ligne d'arrivée en 1990, je me suis dit que c'était l'épreuve que je voulais faire.
Les portes des glaces font polémique, quel est votre avis?
J'ai été le premier en 2004 à être contre ce système mais ce n'était pas ce que certains ont voulu croire. J'ai été accusé d'être inconscient et de vouloir envoyer les skippers au suicide, c'est faux. Je suis tout à fait conscient que, peut-être du fait du réchauffement climatique, les glaces sont de plus en plus haute. Je suis aussi tout à fait d'accord que mon point de vue n'est peut-être pas le bon mais il y a selon moi deux points essentiels.
Tout d'abord, je suis contre le principe de précaution. Les portes des glaces enlèvent au marin sa responsabilité. Je suis allé dans ces zones en 1996 et j'ai eu peur. Maintenant, il n'y a plus la possibilité d'aller voir ce que c'est et ça enlève le côté de la vraie aventure alors que le Vendée Globe doit être l'aventure ultime. Enfin, c'est aussi la prime aux bateaux rapides et aux gros budgets. Bien sûr, s'il y avait de la monotypie, mes propos seraient à revoir.
Vous avez fait l'Everest des Mers avec et sans l'AIS. Que pensez-vous de ce système?
Ça c'est vraiment une invention géniale. C'est une vraie avancée majeure. Par contre, on n'en avait pas avant, et on s'en sortait quand même. Personnellement, j'étais un petit dormeur et je faisais beaucoup de rondes. Sur le Vendée Globe 2004 par exemple, j'avais passé plus des deux tiers de la course à l'extérieur de mon cockpit. C'est sûr qu'il ne faut pas que cela rende les skippers trop sereins. On ne remplace pas la vigilance humaine.
Les budgets qui explosent dans la voile, qu'est-ce que ça vous inspire?
Il y a encore quelques petits budgets mais quelqu'un comme Tanguy (de Lamotte) par exemple ne peut pas rivaliser. Les skippers veulent tous de la technologie et ça rend la victoire accessible uniquement aux gros budgets. Aujourd'hui, pour gagner le Vendée Globe, il faut aligner au minimum 4 millions d'euros. En 1998, mon bateau LaRedoute/Somewhere, tout en carbone, avait coûté 1,3 millions d'euros. En 2008, DCNS n'était pas le plus cher et il a coûté 3,8 millions. Si les prix continuent à ce rythme, il sera difficile de suivre même si on reste sur une épreuve majeure. On cherche à réduire les coûts, je n'ai pas la recette magique et la monotypie n'est pas forcément la solution.
Seriez-vous tenté, à l'image d'Alain Gautier, de vous investir dans le comité de course?
Pas du tout. J'ai d'abord envie de continuer à naviguer, parce que je sens que j'en ai encore les capacités. Ensuite, je ferai tout à fait autre chose.