America’s Cup : des « Class America » à la démesure des bateaux volants

Une nouvelle jauge pour mettre tout le monde d’accord : naissance de la « Class America »
Avant de pouvoir organiser la 28e America’s Cup, il aura donc fallu attendre la décision finale de justice validant la victoire du « defender » américain du San Diego Yacht Club (voir notre article). Celle-ci sera finalement rendue le 27 avril 1990. Le délai pour organiser la compétition prévue à partir de début mai 1991 est trop court. La 28e édition aura donc lieu en 1992. Pour obtenir un consensus le plus large possible, le yacht club de San Diego décide d’organiser un groupe de travail avec les principaux architectes des « challengers » déclarés intéressés par un défi.
Il en sortira une nouvelle classe de bateau dénommée « Class America ». Comme pour les « 12mJI » qu’elle remplace, la nouvelle jauge laisse des marges de développement importantes aux designers pour offrir de vraies alternatives architecturales. Les « Class America » ont une longueur de 25m, portent 325m2 de toiles sur un mât carbone de 35m de haut. La quille pèse 19 tonnes et l’équipage est composé de 17 membres (avec un journaliste, un invité, un sponsor, etc, qui peut être embarqué en plus). Changement des règles aussi : les manches ne dépassent pas les 20 milles pour permettre un meilleur suivi télévisuel.
Dix « challengers » sont sur les rangs pour arracher la coupe aux Américains. Seuls huit seront finalement sur l’eau en janvier 1992 pour le lancement de la coupe Louis Vuitton. Cette coupe est une série de régates qui doit désigner celui qui défiera le « defender » américain. Le plus impressionnant de ces « challengers » est sans conteste le défi italien, porté par le milliardaire Raul Gardini. L’homme veut la « Cup » et met les moyens. 100 millions de dollars !
Mais l’argent ne fait pas tout : si le défi italien remporte la Louis Vuitton’s Cup, il se fait étriller lors de la finale face à America 3 : 4 victoires à 1.
La « Cup » reste aux USA pour la première des « Class America »…
Retour vers l’hémisphère Sud pour l’America’s Cup
Black Magic, skippé par Russell Coutts est un bateau rapide. Très rapide. Tellement rapide qu’il remporte la coupe Louis-Vuitton avant d’écraser le « defender » américain par… 5 victoires à 0 ! Il faut dire que la logique américaine pose question : plusieurs bateaux – dont un mené, pour la première fois, par un équipage presqu’exclusivement féminin -se bagarrent pour être le « defender » officiel choisi par le San Diego Yacht Club, détenteur de l’America’s Cup. Star&Stripes (USA 34) l’emporte face à Young America (USA 36). Pourtant, le yacht club choisit le bateau Youg America (USA 36) mené par l’équipage de Stars&Stripes…
La défaite est cuisante et l’America’s Cup repart dans l’hémisphère Sud, direction Auckland !
Et, pour la première fois depuis 1851, l’Europe récupère la « Cup »
En 2000, dans les eaux néo-zélandaises, le suspense est absent de la compétition. Le « defender » New Zealand – NZL 60, dirigé par Peter Blake et skippé une nouvelle fois par Russell Coutts, l’emporte face au défi italien Luna Rossa. Seule nouveauté, pour la première fois dans l’histoire de la coupe de l’America, aucun « defender » ou « challenger » américain n’était sur l’eau... Une page se tourne !
Pour la 31e édition de l’America’s Cup, les mêmes se retrouvent dans les eaux néo-zélandaises en 2003. Mais cette fois, les Suisses sont de la partie avec un package détonnant. Le Team Alinghi, dirigée par le milliardaire Ernesto Bertarelli a commencé par faire son marché dans le Team New Zealand, vainqueur de la précédente édition. Les Suisses débauchent plusieurs piliers de l’équipe néo-zed, dont le skipper, le magicien Russell Coutts. Le résultat est imparable : les Suisses écrasent la coupe Louis Vuitton et s’imposent face aux Néo-Zed 5 à 0.
Pour la première fois depuis 1851, le pichet en argent appelé « America’s Cup » depuis l’édition de 1870 revient en Europe, certes en Suisse, un pays qui… ne possède aucune façade maritime !
Dans l’acte de donation de l’America’s Cup, entre les armateurs de la goélette America et le New York Yacht Club, il est bien spécifié que la « Cup » est offerte au NYYC à condition qu’elle soit « remise en jeu perpétuellement dans un challenge amical entre pays (…) et que la régate se déroule en mer ou un bras de mer ». La « Cup » ne pourra donc pas se disputer sur un lac suisse…
Le choix de la Société Nautique de Genève se porte sur Valence en Espagne pour la 32e édition de l’America’s Cup qui va se courir en 2007. Parmi les « coups fourrés » tant appréciés par les « defenders », on trouve pour cette édition une évolution de la règle de nationalité : la seule et unique condition qui reste en vigueur est que le bateau doit être « construit dans le pays ». Rien sur les équipages sauf… que ceux ayant travaillé pendant six mois pour une équipe n’ont plus le droit d’en changer ! Et dans la foulée, Ernesto Bertarelli licencie son génial barreur Russell Coutts, triple vainqueur de la coupe de l’America. Coutts reste à terre. Team New Zealand se qualifie facilement pour affronter le « defender » suisse mais… ces derniers sont trop forts et l’emportent 5 victoires contre 2 en finale.
Le retour des multicoques
La 33e America’s Cup reste en Europe, à Valence. Les Suisses s’organisent pour gérer cette nouvelle édition comme bon leur semble en acceptant le défi d’un yacht club espagnol (le CNEV), créé spécialement pour l’évènement. Le protocole qui en sort est tellement catastrophique que nombre d’équipes se rebellent. Finalement, le Golden Gate Yacht Club de San Francisco lance un nouveau défi aux Suisses et demande à la justice d’annuler le défi espagnol - jugé non conforme au « Deed of gift », l’acte de donation original.
La bataille juridique est au moins aussi acharnée que les régates de la « Cup ». Le 2 avril 2009, la cour d’appel de New York donne finalement raison au Golden Yacht Club qui devient, officiellement, le « challenger ». L’acrimonie est telle entre les Suisses et les Américains qu’ils sont incapables de s’entendre sur une jauge ou un défi incluant d’autres équipes. Ce sera donc un match à deux au meilleur des trois manches. Le lieu : Valence en Espagne. Les bateaux : des multicoques de 27 m (90 pieds).
Les Suisses optent pour un catamaran, les Américains pour un trimaran à aile rigide skippé par… Russell Coutts. Le trimaran l’emporte 2 à 0. La « Cup » repart aux USA, direction les eaux de San Francisco, tandis que Russell Coutts signe son 4e succès dans la compétition.
Une nouvelle jauge de catamarans volants : place aux AC 72 !
2013 : pour la 34e édition de l’America’s Cup, les Américains du Golden Gate Yacht Club et le premier challenger officiellement validé par le « defender » se mettent d’accord sur une nouvelle jauge baptisée AC72. Les bateaux seront des catamarans de 72 pieds (22 m) équipés d’une aile rigide de 260 m2 et de foils leur permettant de voler au-dessus des flots. Des engins extraordinaires au sens littéral du terme, capables de dépasser les 45 nœuds (près de 85 km/h), menés par un équipage de 11 marins tout aussi exceptionnel !
Le coût exorbitant de ces unités associé à la nécessité de développer des bateaux de conceptions novatrices sont un vrai frein au nombre de défis. Ils ne sont que trois à tenter de se qualifier pour défier les Américains : les Italiens de Luna Rossa, les Suédois d’Artemis Racing et les Néo-Zélandais de Emirates Team New Zealand. Ces derniers s’imposent dans la coupe Louis Vuitton.
En finale de l’America’s Cup, le « defender » américain ne fait pas le poids. Après 8 régates, le bateau barré par James Spithill est mené 6 à 0 (les Américains ont été pénalisés de deux points pour non-respect du règlement dans les America’s Cup World Series qui ont précédé l’évènement).
Après la onzième course, les Néo-Zélandais dont le bateau est barré par Dean Baker mène 8 à 1. Pour l’emporter, il faut être le premier à avoir 9 points. Il n’en manque donc qu’une seule victoire à Aotearea pour ramener la « Cup » en Nouvelle-Zélande.
Mais tout d’un coup, retournement de situation ! James Spithill, le barreur de l’AC 72 américain Oracle Team USA trouve la faille. 8 à 2. Puis il enchaîne les victoires jusqu’à revenir à 8 partout. Tout va se jouer sur la dernière régate que le « defender » américain remporte finalement après une fantastique remontée.
Cette 34e édition restera dans les mémoires comme l’une des plus intenses et des plus disputées sur des bateaux incroyables aux performances bluffantes.
Tout l’inverse de la 35e édition. Les Américains choisissent d’organiser cette édition dans les eaux bermudiennes sur des catamarans volants de 50 pieds. La magie n’opère pas malgré la victoire de Team New Zealand face aux Américains en finale par 7 à 1. La « Cup » repart en Nouvelle-Zélande dans la salle des trophées du Royal New Zealand Yacht Squadron où elle a déjà trôné après la victoire de 1995 jusqu’en 2003…
Les AC 75, le phénomène des monocoques volants
Il faut relancer l’intérêt pour l’America’s Cup. Il semble difficile de revenir à des monocoques archimédiens après les spectacles offerts par les multicoques volants. Le choix des Néo-Zélandais et du « challenger of records », le premier yacht club à avoir lancé un défi officiel se porte pourtant sur des monocoques de 75 pieds (22,86m). Mais, équipés de foils. Et surtout capables de voler au-dessus des flots et de naviguer à 50 nœuds (92 km/h). Voilà de quoi offrir un spectacle exceptionnel ! Pour tenter de réduire – un peu – les coûts exorbitants de recherche et de construction, il est décidé que plusieurs composants seront monotypes : le système hydraulique, le mât et les bras de foils. Ces bateaux décollent dès 7 ou 8 nœuds de vent alors qu’ils pèsent tout de même 7,5 tonnes et embarquent un équipage de 11 personnes.
Finalement, seuls trois concurrents tentent de défier le « defender » Team New Zealand : les Italiens de Luna Rossa, les Américains d’American Magic et les Anglais de Team UK. La Prada Cup, la compétition qui départage les « challengers » est remportée par les Italiens qui vont donc affronter les Néo-Zélandais sur leur plan d’eau d’Auckland. La finale de la 36e America’s Cup se déroule en mars 2021 au meilleur des 13 matchs.
L’engouement pour cette édition de la coupe de l’America est exceptionnel. Près d’un milliard de personnes va suivre les régates entre novembre 2020 et la finale en mars 2021. Pour se donner une idée de l’importance de ce chiffre, il faut avoir à l’esprit que le Superbowl c’est 120 millions de téléspectateurs, les Jeux Olympiques 3 milliards et la coupe du monde de foot, 3,5 milliards…
Les matchs entre ces monocoques volants à plus de 90 km/h sont spectaculaires et intenses. Les Italiens représentant le Circolo della Vela Sicilia ne font pas le poids face au « defender » du Royal New Zealand Yacht Squadron. Le match est plié par 7 à 3 et la Nouvelle Zélande remporte, pour la quatrième fois, le trophée sportif le plus ancien encore en jeu.
Team New Zealand remet son titre en jeu en 2024. La 37e America’s Cup n’aura pourtant pas lieu à Auckland mais à Barcelone. Les « challengers » se départageront entre le 22 et le 25 août et la finale aura lieu en octobre. Les bateaux retenus pour cette édition restent les AC75, toujours aussi élégants et spectaculaires…