Route du Rhum 2022 – Ultims : le retour du roi ?

S’il est bien au départ de St Malo le 6 novembre prochain, Francis Joyon s’attaquera à sa septième Route du Rhum, égalant le record d’un certain Mike Birch. C’est tout sauf anecdotique tant ces deux marins respirent la mer et leur sport de la même façon, simple et naturelle. « Que voulez-vous faire face à un homme qui parle aux poissons volants ?» avait joliment dit de Birch Olivier de Kersauson en 1978, lors de la victoire initiale du Canadien. Que voulez-vous faire face à un homme qui ne fait rien comme tout le monde doivent se dire les concurrents de Francis Joyon encore aujourd’hui ? Il se prépare face aux grosses écuries seulement entouré de quelques fidèles, sans débauche de technologie aucune. Il dispose certes d’un budget raisonnable, mais sans commune mesure avec les stars du plateau. Malgré son peu d’appétence pour la chose médiatique, Idec et Joyon forment un couple sponsor-skipper fidèle depuis 20 ans. C’est que l’homme porte des valeurs qui ont du sens, entre humilité, persévérance et un talent indéniable pour faire arriver son kart devant les Formule 1. Il n’a abandonné qu’une seule fois la Route du Rhum, en 2002. C’était lors de la funeste édition pour les trimarans de 60 pieds de la classe Orma, avec seulement trois skippers à l’arrivée pour 15 abandons ! Mais en terminant six éditions sur sept, il a déjà marqué l’histoire.
Dès sa première participation, en 1990, avant même le coup de canon, il frappe les esprits par sa détermination. A cinq jours du départ, il découpe 3 mètres des coques de son catamaran pour l’adapter à une longueur de jauge décidée bien tardivement. Il terminera dixième de l’édition remportée par Florence Arthaud. Avec son bateau baptisé BPO, il fait entrer dans la voile un sponsor qui deviendra grand, la Banque Populaire. C’est toujours sous leurs couleurs qu’il terminera sixième en 1998, à l’apogée de la classe Orma. Mais comme Mike Birch s’est fait souffler le soutien de La Trinitaine ou Fujicolor par des skippers potentiellement plus médiatiques, l’association de Francis Joyon avec la « banque de la voile » ne durera pas. C’est donc son département d’origine, l’Eure & Loir qui lui a apporte un soutien de dernière minute en 2002. Avec le retour des grands bateaux en 2010, Francis Joyon est à son affaire sur son trimaran rouge dessiné par Nigel Irens et Benoît Cabaret. Sous les nouvelles couleurs d’Idec, il terminé deuxième derrière l’intouchable Franck Cammas. Toujours avec le même bateau, il rétrograde à la sixième place en 2014, avant de racheter le trimaran vainqueur, avec le succès que l’on connaît.
Car, en 2022 comme il y a quatre ans, Francis Joyon ne sera pas favori au départ de St Malo. Les trimarans volants de dernière génération sont, sur le papier, bien plus performants que le vénérable Idec. Triple vainqueur de l’épreuve, ce dernier connaît pourtant bien la route. Franck Cammas l’a d’abord mené à la victoire, en pionnier, sous les couleurs de Groupama en 2014. Passé du vert de l’assureur, au bleu de la Banque Populaire, il récidivait quatre ans plus tard avec cette fois Loïck Peyron à la barre. En 2018, profitant il est vrai de la petite hécatombe qui décimait la flotte Ultim, Francis Joyon le menait vers un triplé historique, soufflant la victoire pour une poignée de minutes à François Gabart, pourtant longtemps en tête. Cette année cependant, l’adversité a gagné en maturité et en fiabilité. Charles Caudrelier sur Gitana, associé à Franck Cammas lors des courses en double ou en équipage, n’a laissé que des miettes à ses adversaires depuis trois ans. Thomas Coville sur Sodebo, François Gabart sur SVR-Lazartigue et Armel Le Cléac’h sur Banque Populaire XI, disposent de machines certes récentes, mais au potentiel de vitesse impressionnant, même menées en solo. Quant à Yves Le Blevec, son Actual n’est autre que le Macif qui avait terminé second en 2018, mais il se présentera cette fois, bien plus fiabilisé.
Sauf météo vraiment dantesque, ce qui est toujours possible dans le Golfe de Gascogne lors d’un départ automnal, ou « strike » des ofnis détruisant systématiquement les foils des cinq mousquetaires, difficile d’imaginer Francis Joyon renouveler à nouveau son exploit cette année. Mais allez savoir avec un tel spécimen, l’homme aux multiples records autour du monde, en solitaire comme en équipage, n’a pas fini de nous étonner. Alors entre trajectoire audacieuse, talent indéniable, et hasards de la mer, le trimaran Idec de légende peut encore nous surprendre, et c’est donc une excellente nouvelle que de l’imaginer sur la ligne de départ.