Sept « ballades » dans le Golfe de Venise : « la saison des sternes », chapitre 7
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En transhumance entre les deux pôles ce petit oiseau, gracieux et habile annonce au navigateur des pertuis le début …et la fin de l’été. Dans les pertuis oui, nous y sommes habitués. Mais en méditerranée ? C’est bien la première fois que nous les voyons dans ces eaux plonger, habiles pècheresses, leur livrée blanche et noire devant l’étrave du bateau. Nous sommes ce 7 juin en route, depuis la porte du Lido, enfin ouverte, vers Caorle, une balade de 25 milles.
C’est une côte d’un ennui certain, que n’égayent même pas des alignements de chaises longues accouplées à leur parasol. Nous sommes en Italie, les plages sont en concession à des établissements privés qui les aménagent et les sonorisent… Se succèdent à distance de notre route, les fonds sont peu profonds, des stations balnéaires dont le nom résonne avec bonheur aux oreilles des habitants de Vénetie, du Milanais, mais aussi d’Allemagne et d’Autriche : Cavallino, Lido di Jesolo, Eraclea mare. Eraclea c’est la « protoVenise ». C’est de cette ville fondée en 640, elle s’appelait Citanova et il n’en reste plus rien, que le gouvernement duccal transfera à Malamocco en 742 la capitale de la province sur le lido de la lagune vénitienne. Signant ainsi sa volonté d’indépendance envers Byzance, Le royaume Lombard, les Francs qui déferlaient, et même…Rome.
Jesolo nous évoque Recife, certes, la chaleur y est pour beaucoup. Mais ce sont surtout les grattes ciel que l’on aperçoit avant le cordon littoral qui appellent la comparaison avec la cité brésilienne. Se transférer d’un appartement de Milan ou Munchen a un studio de Jesolo, il faut aimer la promiscuité. Pour l’heure les conversations vont bon train au téléphone entre PretAixte et le port de Grado. Dans l’autre siècle on arrivait dans un port et puis on trouvait une place ; et puis, avec l’âge, il a fallu s’annoncer en VHF ; maintenant il est plus que conseillé de réserver une place par téléphone, quand on ne vous demande pas d’envoyer un mail même si vous êtes en mer... Le pire reste de devoir converser avec « l’ormegiattore » sur son portable pour les manœuvres d’approche. On fait remarquer que la norme internationale c’est quand même la VHF obligatoire :« Oui mais c’est plus simple au téléphone », s’entend on répondre, voire.
L’entrée de Caorle se fait par l’embouchure commune de deux fleuves qui se rejoignent à moins d’un demi mille du littoral. Les fonds remontent vite, deux grandes jetées nous attendent. Cartes et guides sont faux : le câble électrique qui surmontait l’entrée de ses 20 mètres de titrant d’air est devenu souterrain. Par contre il y a une porte d’écluse qui peut fermer le port de Caorle, elle sera ouverte pour nous en cette fin d’après-midi nous affirme le secrétaire de la marina après nous avoir auparavant rassuré sur l’absence de câble électrique. On s’engage donc dans le bras commun des deux fleuves côtiers. A gauche a poussé une marina, on l’ignore. Devant nous s’offre le plus large des fleuves, ce n’est pas non plus pour nous.
Un cygne ouvre dignement le convoi, suivi de trois cygneaux, la maman surveille la bonne tenue de la ligne. Nous sommes engagés dans l’étroit canal Verrogio qui s’offrait sur notre droite. C’est en pleine nature, bordé de roseaux et d’un calme qu’on ose qualifier de champêtre. De part et d’autre, des levées de terre prolongent les roseaux. C’est que l’on craint ici les colères de la paisible rivière A un mille en amont nous sommes reçus, passé la porte ouverte, avec compétence et gentillesse, à la darsena de l’orologio. PretAixte se range entre deux bricoles. Là encore des digues et des levées de terre protègent les habitations. De notre poste envahit de quiétude sylvestre offert par les oliviers, le campanile nous indique le centre-ville qui se trouve à moins de 200 mètres du rivage. Les maisons s’agglutinent aux pieds de la tour quasi millénaire, hiératique elle surveille la flottille de pêche dans le port canal. Pour voir ces navires il faudra grimper sur la levée de terre qui, lors des crues, élève les bateaux au-dessus du niveau de la route... On comprend alors que la porte de la marina protège le port de plaisance des surcotes de la rivière. On se rendra le lendemain matin prendre un café parmi les germaniques et les slaves. Caorle est un lieu de villégiature apprécié des gens de l’Est, un peu trop d’ailleurs. On devine que les campings poussent dans l’arrière-pays et que les campings cars se poussent du parking. Le site reste cependant pittoresque et unique avec l’église de la Madonna del Angelo surveillant, du bout de la plage, les baigneurs alignés sur les chaises longues.
La brume est tenace, le vent s’est évaporé dans la nuée, des poules d’eau nous indiquent le chenal. Une aigrette garzette prend la pose sur la rive, des gravelots s’affairent sur la grève. On se croirait chez nous dans les pertuis. C’est que la réunion des trois lagunes : Venezia, Grado, Marano constitue une très vaste zone humide propice à la croissance de la vie aquatique et aux observations des ornithologues. On s’en réjouit en reprenant notre cap à l’est en route vers Grado.
A suivre...