Sept « ballades » dans le Golfe de Venise : pour quelques « bricole », chapitre 5

Après que nous eûmes évité grumes et grains, nous embouquâmes la bouche de Chioggia à la fin du flot. Elle est vaste cette « Bocca di Chioggia ». S’offre à vous alors, passé le Forte San Felice à bâbord, de rejoindre les deux marinas de la Darsena Mosella sur le cordon lagunaire, c’est à gauche en entrant. Ou de rejoindre un peu plus dans l’ouest la darsena Le Saline, ce que nous fîmes.

Avant que de continuer, un rappel sur les méthodes d’amarrages portuaires italiennes il y en a quatre:

La moins usitée est nommée « A l’inglese » ou « Alongside », chez nous c’est « à couple »… Ils n’y sont guère habitués les méditerranéens, et certains autres aussi ! Il avait fallu, il y a une vingtaine d’année, à Nettuno, être très persuasif pour qu’un australien, un australien…, accepte que nous l’accostions.

Même inquiétude à Monopoli pour se ranger le long du môle La Maddalena. Le Grand soleil 45 à quai accepterait il nos amarres ? Francesco accouru, pris nos aussières, Serena l’aida. La soirée s’est évanouie avec le cognac en compagnie de ces charmants hôtes. Le lendemain matin nous étaient livrés, entre autres, cornetti (croissants) et l’huile d’olive pressée par le papa. Nous offrions le café expresso du bord. Bon, mais ça ce sont les pouilles, un monde à part, préservé. Revenons à Venezia.

La seconde méthode la plus usitée ce sont les pendilles. Vous connaissez, il faut une gaffe, des gants, et surtout se faire livrer la pendille seulement quand les amarres arrières sont frappées, au risque de voir le bout’ de la pendille se transformer en arrache moyeu de l’hélice. Nous connûmes en sud Sardaigne…

Mais dans notre navigation vénitienne, il y a des marées ! Adieu pendille. Et tant mieux. Arrivent fingers et bricole. Les « fingers » sont la dénomination italienne de ce que nous appelons « cat way ». C’est marrant cette manie des marins de parler une langue étrangère… Le ponton perpendiculaire au ponton principal est en général, dans ces eaux, autrement plus stable que ceux de nos régions adoucies par l’Atlantique, et cela est bon.

Vient donc la quatrième méthode, ancestrale, et diffusée : LA BRICOLA. Pluriel « bricole », sans S. Comme les fonds sont peu profonds et meubles, et bien tout simplement, on plante des pieux… Combien de forêts d’Istrie ont succombé à la dévorante passion de Venise pour les pieux. Ils sont partout : à l’accostage, en limite de canal, aux arrêts des vaporetti, des traghetti, de tout ce qui flotte. Des bois, une forêt, l’Amazonie !

Avec « Fume sous le vent » on s’est fait avoir à Chioggia, aussi nous nous permettons un conseil. En arrivant pour prendre un poste entre deux bricole, surtout ne sortez pas les pare-battages hormis ceux de l’arrière. Inévitablement en passant entre cet espace étroit délimité par le bricole, un pare battage va s’accrocher et s’arracher. Observant la technique des pratiques locaux, nous confirmons : les « pare bat » sur le pont…. Faut dire que nous avion été gâté à Fano. On était venu nous chercher en annexe, l’ormegiattore avait tourné nos aussières aux bricole, évitant à « Fume sous le vent » de jouer du lasso avec les pieux. Il nous avait même renseignés sur les restaurants. Si, par hasard, vous passez par Fano, deux incontournables : L’osteria « La Rustica » 0721 823558, et le musée Rossini à Pesaro. Un musée pour un musicien ? Et oui, et même incroyablement réussi. Andiamo !

Soyons francs, comme accueil et prestations nous connûmes mieux, que la Darsna le Saline mais c’est au cœur de Chioggia. Et c’est cela qui importe. Chioggia c’est Venezia avec : les voitures, les motos, les vélos, les trottinettes, donc ce n’est pas Venise… Mais quand même. Walter nous dit que Chioggia a connu une croissance touristique importante après le Covid « Les vénitiens ont redécouvert Chioggia », entendons les vénitiens de « terre ferme » Padova, Vicenza... Et c’est vrai. En 2003, logé à l’hôtel Grande Italia à l’occasion de la « Cooking Cup », nous avions apprécié l’indolence tranquille de cette cité aujourd’hui très, trop, prisée.

« Chioggia est le second port de pêche de l’Adriatique » m’affirme Franco. On veut bien le croire. La première flotte doit être celle de Manfredonia. Gianni nous a appris qu’il y eut jusque 300 chalutiers sous le Gargano. Nous en avons conté 150 à quai un lundi, tous de plus de 50 pieds. La flotte ici à Chioggia est elle aussi impressionnante, mélange de chalutiers d’environ 15 mètres et de bateaux que nous n’avons vu que dans la lagune vénitienne. Ces curieux pêcheurs sont munis à l’avant d’une sorte de tapis roulant en grillage à grosse maille, d’au moins cinq mètres de long, basculant, et précédé d’un aspirateur ; quand ce n’est pas d’une espèce de cage grillagée. A Burano ils sont tous comme cela.

« Spaghetti alle vongole » vous connaissez ? Et bien les palourdes ce sont comme cela qu’ils les pêchent : avec leurs bateaux tamanoir, les « vongoliere» qui sont en fait des dragues hydrosoufflantes ! En conséquence de cette profusion de bâtiments de pêche, le marché au poisson de Chioggia est remarquablement achalandé, il mérite une visite et de achats. Si c’est à terre que vous souhaitez vous restaurer, l’adresse recommandable est un bacaro (la taverne vénitienne) : La Baia dei Porci. Buon appetito !

« On peut naviguer dans la lagune de Venise ? » Nous sommes auponton à San Giorgio Maggiore, Venise. C’est marée basse. Au-dessus de moi, sur le quai, une connaissance rochelaise tout aussi surpris que je le suis de nous rencontrer, m’apostrophe. Avec Franco et son one tonner nous étions allé mouiller derrière Torcello dans le nord de la lagune il y a presque vingt ans, comme le firent après nous Taoté et Xavier sur des bateaux de 34 pieds. Nous étions aussi remontés avec Franco sur un 36 pieds de Chioggia à San Giorgio par le canal qui longe le cordon lagunaire de Malamocco. Etrange vision que celle des chantiers navals à cet endroit, ils construisent des cargos à San Pietro… C’est une navigation ennuyeuse, forcément motorisée, le chenal est étroit, il faut tenir la ligne et le précepte de Franco « A mezzo canale » : au milieu du chenal. Regardant les cartes, certaines zones ne sont pas sondées ; rencontrant des arbres, le cours des fleuves fait varier sérieusement la bathymétrie, nous renonçons à passer par l’intérieur. Notre ami vénitien me confirmera que les canaux sont parsemés d’obstacles que l’on est certain de toucher un jour ou l’autre avec un tirant d’eau excédant deux mètres.

On profite de ce que Chioggia soit un port de pêche pour refiouler. Du gasoil de qualité !

Le quai au fuel à Chioggia est facile d’accès, soumis à un courant maitrisable. Surtout il est calme ! Tout l’inverse du quai à fuel de Venise situé au Lido : dans une machine à laver traversée par le courant.

Aussi au matin de la saint Augustin, dans une brise faible mais suffisante pour nous déhaler nous résolûmes de quitter la lagune de Venise par son entrée sud et de la retrouver par son entrée nord, la bouche du Lido, et voguer ainsi jusqu’au cœur de la cité et face au palais des Doges.

A suivre...

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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