Au pied des fortifications de Cherbourg, dans les forts courants de la Manche, le seul élevage de saumons en mer de France tente de tenir la dragée haute aux poissons écossais et surtout norvégiens qui alimentent en masse l'Hexagone.
"Nous représentons moins de 0,5% de la consommation nationale. Mais nous visons la qualité: nos poissons sont de grands sportifs car ils ont du courant et de l'espace. Donc ils ont peu de graisse", affirme Franck Gouix, un des patrons du groupe GMG, qui exploite la société Saumons de France depuis 2008.
"Le courant que nous avons, c'est le rêve de tout éleveur de saumon", martèle M. Gouix, qui assure que sa société ne parvient pas à répondre à toute la demande.
Le produit, bien que dénué de label, a déjà séduit des professionnels, comme Jean Sulpice, chef deux étoiles à Val Thorens, qui affirme avoir choisi le saumon de Cherbourg à l'issue d'un test mettant également en lice du poisson bio et label rouge.
Malgré un prix élevé -seul le saumon sauvage est plus onéreux- le saumon du Cotentin trouve également grâce auprès de l'entreprise familiale de fumaison Lucas à Quiberon (Morbihan).
"Comme il nage plus, il a une chair plus ferme, un croquant plus sympa, comparé au poisson label rouge ou bio élevé dans des criques", estime l'un de ses dirigeants, Erwan Lucas.
Toutefois, l'absence de label peut laisser "dubitatif" pour un saumon qui se veut de qualité supérieure, tempère Patricia Chairopoulos, auteur pour 60 millions de consommateurs d'un test sur les saumons qui n'incluait toutefois pas ceux de Cherbourg.
Rançon de la gloire ? Les Norvégiens, dont le France est le premier client à l'export pour le saumon, considèrent avec un brin scepticisme cette concurrence venue du sud, à l'instar de Johan Kvalheim, directeur France et Grande-Bretagne du centre des produits de la mer de Norvège.
"La qualité de la chair est liée à la vitesse de croissance du saumon qui est plus lente en Norvège car la mer y est plus froide", assure ce spécialiste, dont l'organisme est lié au ministère de la pêche à Oslo. Tout en confiant que les Norvégiens s'efforcent eux aussi de faire nager davantage leurs poissons...
Reste qu'élever du saumon à un millier de kilomètres au sud de la Norvège n'est pas un défi évident à relever.
Avant d'être racheté par GMG à un Norvégien, Saumon de France a plusieurs fois failli mettre la clé sous la porte, et sa production reste très fluctuante, oscillant selon l'entreprise entre 600 à 800 tonnes par an pour un chiffre d'affaires de trois à six millions d'euros.
La ferme a ainsi dû revoir à la baisse cette année ses objectifs de production annuelle à 650 tonnes, après une surmortalité liée à la température de l'eau.
Mais Saumons de France assure afficher des bénéfices depuis trois ans, grâce à son parti-pris qualitatif.
"Nos prédécesseurs visaient les 2.500 tonnes. Il ne faut pas que nous visions la quantité", indique M. Gouix, un entrepreneur issu d'une famille de mareyeurs et passé par l’ingénierie financière.
Les actionnaires du groupe GMG, dont Saumons de France est la vitrine, n'ont cependant pas déclaré la guerre à la Norvège : l'un de ses actionnaires, Franck Gondal, est à la tête de Filpromer, société de transformation de poisson et notamment de saumon norvégien