Les grandes marées de ce week-end sur l'Atlantique ont attaqué ce qu'il reste d'illusions sur l'inéluctable érosion du littoral d'Aquitaine: on ré-ensable et ré-enroche, mais le nécessaire repli stratégique d'hommes et biens fait son chemin dans les esprits, lesquels se tournent vers l'État en demandant: qui s'en occupe ?
"C'est comme avec les grands malades. Ou comme la chanson de Piaf. On se dit "Mon Dieu, laissez-le moi encore un peu"...", médite, résignée, Jacqueline Gandoin, 81 ans. Le 28 janvier, face à un arrêté de péril et d'interdiction d'habitation à compter du 29 janvier, elle a dû quitter son appartement de l'immeuble de quatre étages en bord de mer à Soulac (Gironde). "On savait. Moi, depuis la tempête Xynthia en 2010, j'avais compris que c'était fini. Mais on aurait bien aimé avoir un dernier été...", poursuit l'octogénaire. "Il y a des points du littoral qu'on va ré-engraisser de sable pour la saison touristique. On se dit pourquoi pas nous ?"
C'est un fait. L'immeuble "Le Signal", un vrai symbole, résistera peut-être aux fortes marées de cette fin de semaine, mais pas à l'érosion à terme. En tout cas pas à la "déconstruction" désormais scellée. Début janvier, l'océan a rongé 4 à 5 nouveaux mètres de dune et l'édifice n'est plus qu'à 16,50 m d'une petite falaise sableuse, contre 200 mètres il y a 45 ans. Personne ne peut dire qu'il n'a rien vu venir.
Recul depuis plus de 100 ans
"Sur le littoral aquitain, on sait que le trait de côte est en recul général depuis 100-200 ans", rappelle Bruno Castelle, océanographe au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Bordeaux. "Là où ça recule, c'est de un à trois mètres par an, parfois cinq. Et rien n'indique que ça va décélérer".
Ce scénario tient à maints facteurs: l'érosion naturelle de long terme liée aux sédiments épuisés, les saisons plus ou moins "énergétiques" en houle et les tempêtes, explique le physicien. Début janvier, il y a eu combinaison de facteurs. Triple peine pour la côte sableuse de 240 km.
A 80 km au sud, à Lacanau-Océan, station-star de la côte de Gironde, les engins s'activent pour du ré-enrochement et du ré-ensablement. Une ardoise de 40.000 euros. Les devis, "pour remettre le front de mer à l'identique" de l'été 2013, avoisinent 500.000 euros, calcule le maire, Jean-Michel David. Un tonneau des Danaïdes que nulle collectivité ne peut porter seule.
"La relocalisation, même à échéance de 50 ans, même entourée de points d'interrogation, est un sujet qu'il faut intégrer pour s'y préparer", pose l'élu, sentant que "l'agression" de la côte début janvier a marqué les esprits.
L'Aquitaine se revendique pionnière sur ce terrain. A travers un Groupement d'intérêt public (GIP) Littoral, créé en 2006, elle somme l'État de lui donner les moyens d'avancer sur ses stratégies déjà élaborées, intégrant la relocalisation, aux implications financières colossales.
'Déplacer la serviette'
"On est prêts", dit le président du GIP, Renaud Lagrave, demandant que les conséquences financières soient couvertes pleinement par le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit Fonds Barnier, comme c'est le cas de grandes tempêtes de type "Xynthia".
Les 78 copropriétaires du "Signal" posent la même question, furieux d'une offre où l'accompagnement de l'État serait plafonné à 50% de la valeur de l'immeuble.
Le ministère de la Mer rétorque que l'érosion de la côte est un phénomène lent, sans danger imminent, et que ce fonds, débloqué à 100% pour une dizaine de cas dans le Nord, ne l'a été qu'en raison d'un risque imminent d'effondrement de falaise.
Mais, sur ce court terme, comme sur le long terme, État et collectivités devront parler financement du littoral.
"Des élus qui parlent de repli stratégique, c'est déjà un progrès, c'était impensable il y a dix ans", relève-t-on dans les milieux scientifiques. Alain Rousset, président de région, se souvient des cris d'orfraie il y a dix ans lorsqu'on stoppait des droits de construire au nom de la Loi littoral.
Les spécialistes l'ont dit, admet Vincent Duprat, du Conseil de copropriétaires: "Quand la mer monte, il n'y a qu'une chose à faire: déplacer la serviette".