LA QUESTION DU DIMANCHE. Chaque dimanche, on vous propose un petit pas de côté. L’idée ? Offrir un nouvel éclairage, une notion à développer ou quelques secrets de fabrication à dévoiler. Aujourd’hui, retour sur l’histoire tumultueuse, parfois dramatique, toujours intrigante du cap Horn. Alors que Charles Caudrelier ne devrait pas tarder à le franchir, ce troisième cap marque la fin des 40es rugissants et de son cortège de dépressions, une délivrance et l’espoir de jours meilleurs. Ce fut aussi une route historique, et déterminante pour le transport maritime malgré les affres de son franchissement. Une histoire puissante, riche en symboles et en émotions.
Une légende plus souvent convoquée que réellement vue. Le cap Horn est un mythe qui se fait désirer – Charles Caudrelier peut en témoigner –, et pourtant souvent si anodin vu de la mer. Car sa falaise de 425 mètres se devine plus qu’elle ne se voit pas, noyée dans la bruine, le mauvais temps persistant et la furie de la mer. Un caillou au milieu du chaos. Un bloc noirâtre, lugubre et sinistre, battu par les éléments aux confins de terres inhospitalières.
C’est la terre la plus australe de tous les continents, à 55°58’ Sud et 67°17’ Ouest, ce qui lui vaut sa légende, nourrie de drames et du récit des marins y revenant miraculés. Géographiquement, il s’agit d’un plateau continental, un entonnoir coincé entre les eaux froides de l’Antarctique et celles plus tempérées du Pacifique où, sans fin, vient buter la houle. Une zone abonnée aux bulletins météo extrêmes. Ce weekend, les relevés font état de rafales à plus de 70 nœuds.
Une découverte, une révolution
Pourtant, c'est une aubaine pour le commerce mondial, le début d’une nouvelle ère. Si certains l’ont peut-être doublé par accident, le premier franchissement reporté date de janvier 1616. Un navire hollandais, dirigé par Willem Schouten, financé par Isaac Lemaire, aspire à gagner du temps pour booster son commerce. L’itinéraire qui longe cette falaise austère, permet de s’épargner de longues semaines de mer et de doper les affaires. Reste à trouver un nom à cette voie nouvelle, ce sera « Kap Hoorn », ville d’origine de l’armateur et du commandant du bateau.
Et cette découverte a valeur de révolution ! Fini le détroit de Magellan ou le cap de Bonne-Espérance, il existe désormais une route entre l’Europe et l’Extrême-Orient et une autre qui permet de relier les deux côtes du Nouveau monde. Une aubaine au XIXe siècle saisie par la ruée vers l’or qui va fortement développer le trafic dans la zone malgré l’hostilité du rocher. Au printemps 1788, l’équipage du Bounty - bien avant ses velléités de révolte -, avait dû patienter plus d’une vingtaine de jours, incapable de progresser dans la mer agitée et les vents glacés. La difficulté est telle, le niveau de dangerosité si colossal que les drames sont nombreux. Entre sa découverte et le XXe siècle, des estimations font état de 10 000 morts parmi les marins qui s’y sont aventurés.
« Une forme de délivrance et de bonheur »
C’est ce qui explique, aussi, la fierté de tous ceux qui l’ont dépassé, l’intense satisfaction de devenir cap-horniers. Pour les marins, le cap Horn était un obstacle ; pour les skippers, c’est une frontière, la certitude de jours meilleurs. Enfin, on laisse derrière soi des semaines à batailler dans les 40èmes rugissants. Enfin, on met le cap vers le Nord, on retrouve l’Atlantique, une température plus heureuse, une accalmie si réconfortante. Enfin, on respire. Chaque tour du monde est un témoignage de plus de cet incroyable soulagement, une vraie libération.
« Avant, c’est Nazaré en continu, à se croire en surf tracté avec 8 à 10 mètres de vagues», expliquait Yannick Bestaven lors du dernier Vendée Globe. « C’est dingue comme la transition est brutale, on passe en quelques heures de rafales à 45 nœuds à une mer plate », disait Thomas Ruyant. « Il y a une forme de délivrance et de bonheur », expliquait François Gabart lors de son record autour du monde (en 2017). « Quand j’ai passé la longitude, c’était génial, assez magique et je n’ai pas réussi à finir la manœuvre sans pleurer ». Des larmes pour le combat passé, pour l’intensité et pour s’offrir, aussi, un peu d’éternité.
Vous êtes intéressés par les points de passage des skippers ? N'hésitez pas à lire l'article : "Charles Caudrelier à l'approche du Point Nemo : quel est ce point isolé ?" , disponible dans le dossier spécial ARKEA ULTIM CHALLENGE BREST.
Source : ARKEA ULTIM CHALLENGE BREST