Se déplaçant à skis, tractés par des voiles de kite-surf, l'explorateur Matthieu Tordeur et la glaciologue Heïdi Sevestre vont pendant trois mois traverser l'Antarctique à la recherche d'une glace vieille de 130.000 ans, pour mieux comprendre l'impact du réchauffement climatique sur le continent blanc.
Alors que s'ouvre le 10 novembre au Brésil la COP30, les deux Français veulent rappeler aux gouvernements l'urgence de limiter les émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Ils ont atterri mercredi sur la base de Novolazarevskaya en Antarctique de l'Est et auront 90 jours pour boucler la traversée du continent. "On ne peut mener l'expédition que pendant l'été austral", explique l'explorateur Matthieu Tordeur qui parcourt les régions polaires depuis dix ans.
"On devra quitter l'Antarctique d'ici la fin janvier. Après, il n'y aura plus d'avion pour nous emmener", ajoute l'explorateur, lors d'un entretien accordé à l'AFP à Cape Town, en Afrique du Sud, juste avant leur départ pour l'Antarctique.
Avec la glaciologue Heïdi Sevestre, ils ont tracé un itinéraire de 4.000 kilomètres qui les emmènera des hauts plateaux orientaux à l'Antarctique de l'Ouest, une longue distance qu'ils avaleront en kite-ski. "On se déplace avec le vent et, si ça souffle bien, on peut faire 150 à 200 kilomètres par jour", prévoit Matthieu Tordeur. Derrière eux, ils tireront chacun un traîneau chargé de 200 kilos de matériel et de nourriture. Un voyage en totale autonomie dans des conditions souvent extrêmes qu'anticipe l'explorateur: "L'Antarctique est l'endroit le plus froid, le plus sec et le plus venteux sur la planète. C'est aussi le continent le plus en altitude sur Terre. On montera jusqu'à 3.800 mètres dans les hauts plateaux, ce qui sera très incommode parce que les températures pourront tomber jusqu'à -50C°."
"Etendue blanche sans vie"
Pendant trois mois, le duo campera sur la calotte polaire.
"Une fois que l'on est à l'intérieur du continent, il n'y a plus rien. C'est juste une grande étendue blanche sans vie." Ce qui présente de nombreuses contraintes logistiques. "On doit tout avoir dans nos traîneaux: nourriture, équipement, matériel scientifique, outils, liste l'explorateur. On n'aura pas accès à l'eau alors on fera fondre de la neige et de la glace. On mangera de la nourriture déshydratée." Heïdi Sevestre tient donc un tableau Excel recensant chaque repas pendant 90 jours au gramme près. Un petit déjeuner contiendra par exemple 70 grammes d'avoine, 30 grammes de muesli et 14 grammes de raisins secs. "On va allier l'aventure à une science très ambitieuse", s'enthousiasme la chercheuse alors que leur mission est placée sous l'égide de l'Unesco.
Les Français tireront derrière eux deux radars à pénétration de sol pour scanner la calotte polaire: "On cherche une glace très profonde - entre deux et trois kilomètres de profondeur - et très ancienne - datant d'environ 130.000 ans".
Une période cruciale pour Heïdi Sevestre. "Il y a 130.000 ans, le climat sur Terre était plus chaud de 3 degrés. Si nos pays ne sont pas assez ambitieux sur leurs objectifs de réduction de gaz à effet de serre, nous connaîtrons les mêmes conditions d'ici 2100." "Loin dans la calotte glaciaire, il y a de la glace qui a déjà connu ces températures, développe la glaciologue. On va suivre ces couches anciennes d'Est en Ouest. Et si, à un moment, elles ont disparu, cela signifierait que certaines régions de l'Antarctique se sont effondrées à +3 degrés".
Avec un point d'attention pour Heidi Sevestre: l'Antarctique de l'Ouest.
C'est dans cette région que la scientifique s'attend à perdre la trace de cette glace datant de 130.000 ans. "On tente de savoir si la région occidentale s'est effondrée. Si c'était le cas aujourd'hui, cela ferait monter le niveau des mers de quatre à six mètres. Des centaines de millions de personnes devraient être déplacées des littoraux."
Matthieu Tordeur et Heïdi Sevestre veulent délivrer un message alors que le monde entier se réunira à la COP30 au Brésil du 10 au 21 novembre. "Il n'est pas trop tard pour éviter les pires conséquences du changement climatique, signale la glaciologue. Perdre l'Antarctique de l'Ouest n'est pas une fatalité. Cela dépend de nous et on sait ce que l'on doit faire: décarboner notre énergie."
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