Pourquoi l’hiver transforme radicalement le rôle du skipper ?

Culture nautique
Par Mark Bernie

Vent violent, dépressions rapides, fatigue accrue et marges qui fondent : naviguer en plein hiver ne consiste pas simplement à affronter des conditions plus dures. Cela impose au chef de bord de revoir en profondeur sa manière de décider, d’anticiper et de gérer son équipage. Entre météo incertaine, matériel moins tolérant et exigences humaines renforcées, la navigation hivernale révèle une autre facette du commandement en mer.

Vent violent, dépressions rapides, fatigue accrue et marges qui fondent : naviguer en plein hiver ne consiste pas simplement à affronter des conditions plus dures. Cela impose au chef de bord de revoir en profondeur sa manière de décider, d’anticiper et de gérer son équipage. Entre météo incertaine, matériel moins tolérant et exigences humaines renforcées, la navigation hivernale révèle une autre facette du commandement en mer.
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En été, une mauvaise décision se paye souvent en inconfort. En plein hiver, elle peut se payer... en minutes ! Et le temps perdu peut dégénérer en drame.... Ce n’est pas seulement une histoire de vent plus fort ou de mer plus formée. Le changement radical, pour un chef de bord, tient à un mot : la marge. Marge de temps, marge de route, marge de fatigue, marge matérielle. Parce que les dépressions se creusent vite, que les alertes météo peuvent basculer en situation critique, que les avaries deviennent plus pénalisantes et que l’équipage n’a plus la même tolérance au froid, à l’humidité et au stress. Les outils n’ont jamais été aussi performants, mais la sanction d’une erreur de jugement n’a jamais été aussi brutale.
Les hivers récents en Europe du Nord-Ouest ont rappelé à quel point un épisode peut combiner vent violent, fortes précipitations, surcote et état de mer sévère, avec des impacts très rapides sur les littoraux et les infrastructures. Cette mécanique météo marine oblige le chef de bord à "changer de métier" : il ne conduit plus seulement un bateau, il pilote des marges.


Le vrai tournant : la vitesse des événements

La première différence entre une navigation estivale et une navigation en plein hiver tient au rythme. Certaines dépressions s’intensifient extrêmement vite. En quelques heures, un système dépressionnaire peut passer d’un coup de vent maniable à une tempête structurée, avec une chute rapide de la pression atmosphérique et une mer qui se désorganise. Pour le chef de bord, cela change profondément la prise de décision. La question n’est plus seulement de savoir s’il est possible de partir, mais à partir de quel moment il devient déraisonnable de continuer.
Les skippers expérimentés le résument simplement : en hiver, la décision doit être prise plus tôt que ne le dicte l’instinct. Dès que l’hésitation s’installe à bord, c’est souvent le signe que la marge commence déjà à disparaître. Là où l’été autorise l’ajustement progressif, l’hiver impose l’anticipation franche.

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Lire le bulletin météo ne suffit plus : il faut lire l’incertitude

Naviguer en hiver oblige le chef de bord à changer sa manière de lire la météo. Il ne s’agit plus de suivre un scénario unique, mais de raisonner en hypothèses. Les trajectoires de tempêtes, leur intensité réelle et leur vitesse de déplacement nécessitent un suivi en temps réel. Le skipper doit donc composer avec plusieurs scénarios plausibles et réfléchir en termes d’enveloppes de risque.
Concrètement, cela signifie préparer une route si la situation évolue comme prévu, une alternative si la dépression se renforce davantage, et surtout une solution de repli crédible. En hiver, les portes de sortie se referment vite. La nuit est plus longue, la fatigue arrive plus tôt, certaines entrées de ports deviennent délicates avec la houle, et la côte peut rapidement devenir un danger en elle-même.
Dans certaines configurations, la meilleure décision n’est d’ailleurs pas forcément de se rapprocher de la terre. Rester au large, dans de l’eau libre, avec de la place pour manœuvrer et réduire la toile, peut offrir davantage de sécurité que de chercher un abri exposé à une mer désordonnée.


Le matériel ne casse pas plus, il pardonne moins

Le froid, l’humidité et les chocs répétés n’inventent pas de nouvelles pannes. Ils transforment des faiblesses mineures en incidents sérieux. Un pilote automatique qui décroche dans une mer croisée, une écoute qui s’use prématurément, une infiltration qui atteint l’électronique. En hiver, intervenir prend plus de temps, coûte plus d’énergie et expose davantage l’équipage.
La philosophie reste pourtant simple : éviter le cœur du phénomène quand c’est possible et décider suffisamment tôt pour conserver des réserves de manœuvre. Ce principe, issu du maritime professionnel, s’applique parfaitement à la plaisance hivernale. La meilleure manœuvre est souvent celle que l’on n’a pas à exécuter.
Cela implique une préparation différente, non pas forcément plus lourde, mais plus cohérente. Les points d’entrée d’eau, la capacité à maintenir un bateau sec et ventilé, l’autonomie énergétique, la possibilité de barrer longtemps sans assistance, la visibilité et l’éclairage deviennent des éléments structurants du projet de navigation.

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L’équipage : le paramètre critique

En croisière estivale, la fatigue s’installe progressivement. En navigation hivernale, elle devient un facteur de risque central. Le froid réduit la dextérité, l’humidité empêche une récupération correcte, et la mer désordonnée limite les phases de repos. Dans ces conditions, le chef de bord ne se contente plus d’organiser les quarts. Il gère une ressource humaine fragile.
Les retours d’expérience d’accidents montrent un point commun récurrent : la surestimation de la capacité de l’équipage à encaisser. Même avec un bateau bien préparé et des marins expérimentés, la répétition de manœuvres difficiles en conditions froides et dégradées finit par altérer le jugement.
Les navigateurs d’hiver les plus aguerris développent alors une culture de la marge. Réduire plus tôt, protéger les personnes avant tout, refuser de transformer une option en obligation, accepter de renoncer sans chercher à sauver coûte que coûte un programme établi.


Moins de bravoure, plus de méthode

Ce qui change radicalement pour le chef de bord en hiver, c’est la posture mentale. La saison froide ne récompense pas la démonstration de force ou d’endurance. Elle valorise la méthode, l’anticipation et la lucidité. Décider tôt, préserver l’équipage, maintenir des solutions de repli ouvertes et accepter que certaines navigations ne se jouent pas sur la performance, mais sur la capacité à rentrer entier.
La préparation commence bien avant de larguer les amarres, avec une analyse météo fine et évolutive. En navigation hivernale, la lecture des bulletins ne se limite pas à un feu vert ou rouge. Elle accompagne chaque étape de la route et conditionne en permanence la prise de décision.
En mer, la règle devient presque austère : si la situation impose des manœuvres longues, répétées et éprouvantes, le risque n’est plus seulement à l’extérieur. Il est aussi dans le cockpit. À ce moment-là, le chef de bord ne démontre plus qu’il sait naviguer. Il prouve qu’il sait préserver son bateau et son équipage pour pouvoir... aller toujours plus loin !

Pour préparer sereinement vos navigations et planifier vos escales, le Bloc Marine est la référence pour les plaisanciers, depuis plus de 60 ans. L’application mobile gratuite vous permet aussi d’avoir toutes les infos sous la main en un clic. Et avant de partir en mer, consulter la météo sur METEO CONSULT Marine.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.