Thon rouge et quotas : la face cachée d’un business sous tension

Pêche en mer
Par Figaronautisme.com

Le thon rouge de l’Atlantique (Thunnus thynnus), espèce emblématique des eaux méditerranéennes et atlantiques, a longtemps été victime de son succès. Dans les années 1990 et 2000, la surpêche a failli provoquer l’effondrement de ses populations, menant à des restrictions drastiques imposées par l’ICCAT (Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique).

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Le thon rouge de l’Atlantique (Thunnus thynnus), espèce emblématique des eaux méditerranéennes et atlantiques, a longtemps été victime de son succès. Dans les années 1990 et 2000, la surpêche a failli provoquer l’effondrement de ses populations, menant à des restrictions drastiques imposées par l’ICCAT (Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique).

Aujourd’hui, cette gestion semble avoir porté ses fruits, avec un stock qui a triplé depuis 2010, selon les données de l’ICCAT publiées en 2023.
Mais derrière cette apparente réussite se cache un secteur sous haute tension, où les enjeux économiques, environnementaux et politiques s’entremêlent. Alors que la demande, notamment japonaise, reste colossale, la régulation stricte des captures ne met pas fin aux dérives. Trafic illégal, opacité des quotas, inégalités entre pêcheurs artisanaux et industriels : la filière du thon rouge est loin d’être un modèle de transparence.

Une manne financière qui attise les convoitises
Le thon rouge est l’un des poissons les plus précieux du marché mondial. Prisé pour sa chair rouge vif et sa forte teneur en graisse, il est au cœur de la gastronomie japonaise, où il est transformé en sushi et sashimi de luxe. Le Japon absorbe à lui seul environ 80 % du thon rouge pêché dans le monde, et la concurrence pour alimenter ce marché est féroce.
Chaque année, la traditionnelle vente aux enchères du marché de Toyosu à Tokyo donne le ton : en 2019, un spécimen de 278 kg a été adjugé pour 2,7 millions d’euros. Si ces chiffres sont largement symboliques, ils traduisent l’engouement autour de cette espèce et l’intérêt financier qu’elle représente. La France, avec sa flotte de thoniers senneurs en Méditerranée, est l’un des principaux acteurs de cette industrie, capturant environ 6 000 tonnes par an sur les 40 570 tonnes de quota total alloué par l’ICCAT en 2023.
Mais au-delà de la pêche traditionnelle, une autre activité suscite l’attention : l’engraissement du thon rouge en ferme marine. Cette technique consiste à capturer de jeunes thons sauvages pour les élever dans des bassins en mer, où ils sont gavés de poissons pendant plusieurs mois avant d’être exportés, principalement vers le Japon. Selon une étude de l’ONG MedReAct publiée en 2022, cette pratique entraîne de nombreuses dérives : entre déclarations de captures falsifiées et surexploitation des ressources marines nécessaires à l’alimentation des thons, elle pose de sérieux problèmes de durabilité.

Un système de quotas sous pression
Face au risque d’extinction du thon rouge, l’ICCAT a mis en place en 2007 un plan de reconstitution des stocks, qui a progressivement réduit les captures et renforcé les contrôles. Résultat : la population de thons rouges s’est nettement redressée, permettant une augmentation progressive des quotas depuis 2015. En 2023, la commission a validé une nouvelle hausse, portant le total des captures autorisées à 40 570 tonnes, un chiffre en hausse de 20 % par rapport à 2017.
Mais ce système, bien que nécessaire, n’est pas exempt de critiques. D’après une enquête menée par Europol et Interpol en 2018, le marché noir du thon rouge serait encore florissant. Cette investigation a révélé un trafic illégal portant sur 2,5 tonnes de thon rouge en Méditerranée, représentant un chiffre d’affaires clandestin de 12 millions d’euros. Le principal point faible du dispositif réside dans les fermes d’engraissement, où des écarts importants entre les volumes déclarés et ceux exportés sont régulièrement observés.
D’autre part, la répartition des quotas est un sujet explosif. Aujourd’hui, la grande majorité des allocations est attribuée aux thoniers senneurs industriels, tandis que les pêcheurs artisanaux, utilisant des méthodes plus sélectives comme la palangre ou la ligne, ne reçoivent qu’une infime partie du gâteau. "On nous donne à peine 5 % du quota, alors que nous sommes ceux qui avons le moins d’impact sur la ressource", déplore Jacques B., un pêcheur palangrier de Sète. Cette inégalité alimente la colère des petits pêcheurs, qui se sentent lésés au profit des grandes entreprises.

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L’ombre du changement climatique
Si la gestion des quotas et la lutte contre le braconnage restent des défis majeurs, un autre facteur pourrait bien bouleverser l’avenir du thon rouge : le changement climatique. Une étude publiée en 2023 par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) souligne que l’élévation des températures marines pourrait modifier les routes migratoires du thon rouge et affecter sa reproduction.
Jusqu’à présent, la Méditerranée reste l’une des principales zones de frai de l’espèce, mais des observations récentes suggèrent que les thons rouges pourraient progressivement remonter vers des eaux plus fraîches, notamment au large des côtes portugaises et irlandaises. Cette évolution pourrait rebattre les cartes de la filière, en redistribuant les stocks et en favorisant de nouveaux pays dans l’exploitation du thon rouge.
En parallèle, l’acidification des océans et la raréfaction des petits poissons dont se nourrissent les thons rouges, comme les sardines et les anchois, constituent une autre menace. "Nous commençons à observer des modifications dans les régimes alimentaires des thons rouges en Méditerranée", indique un rapport de l’Ifremer publié en 2022, soulignant que ces changements pourraient affecter la croissance et la qualité des poissons.

Un avenir incertain entre conservation et exploitation
Le cas du thon rouge illustre parfaitement les contradictions de la gestion des ressources marines : d’un côté, un succès relatif en matière de conservation, avec un retour des populations à des niveaux plus soutenables ; de l’autre, un marché sous tension, où les intérêts économiques et industriels prennent souvent le pas sur les préoccupations écologiques.
Pour garantir un avenir durable à cette filière, plusieurs pistes sont envisagées. L’ICCAT travaille à un renforcement des contrôles sur les fermes d’engraissement, afin de limiter les fraudes. Certaines ONG, comme MedReAct, plaident pour une redistribution plus équitable des quotas en faveur de la pêche artisanale, jugée moins destructrice. Enfin, des initiatives de recherche visent à développer un élevage du thon rouge en captivité à partir de la reproduction artificielle, afin de limiter la pression sur les stocks sauvages.
En attendant, le thon rouge demeure un symbole des tensions entre exploitation et conservation. Qu’il soit pêché, engraissé ou trafiqué, il reflète les paradoxes d’un monde où la gestion des océans reste un défi permanent.

Avec une régulation efficace et une approche plus durable, l’histoire du thon rouge pourrait devenir un exemple de gestion réussie des ressources marines. Mais sans vigilance, il pourrait bien redevenir une espèce en péril.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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