Pythéas de Massalia : le premier explorateur scientifique du Grand Nord

Culture nautique
Par Figaronautisme.com

Au IVe siècle avant notre ère, alors que le monde connu des Grecs se limite pour l’essentiel au bassin méditerranéen, un homme prend la mer, porté par une intuition astronomique et une soif de savoir. Son nom ? Pythéas. Son point de départ ? Massalia, l’actuelle Marseille. Son objectif ? Prouver par l’observation que le monde est bien plus vaste – et plus étrange – qu’on ne l’imagine.

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Au IVe siècle avant notre ère, alors que le monde connu des Grecs se limite pour l’essentiel au bassin méditerranéen, un homme prend la mer, porté par une intuition astronomique et une soif de savoir. Son nom ? Pythéas. Son point de départ ? Massalia, l’actuelle Marseille. Son objectif ? Prouver par l’observation que le monde est bien plus vaste – et plus étrange – qu’on ne l’imagine.

Entre récit de voyage, enquête scientifique et aventure humaine, l’histoire de Pythéas est celle d’un pionnier discret mais déterminant. Un explorateur oublié qui, bien avant les grandes découvertes, a tenté de repousser les frontières du savoir humain.

Massalia : la Méditerranée comme point de départ
Pythéas naît vers 350 av. J.-C. à Massalia (ancien nom de Marseilles) une cité grecque fondée deux siècles plus tôt par des colons venus de Phocée, en Asie Mineure. Située à l’intersection de nombreuses routes commerciales, la ville est prospère, ouverte sur le monde. On y parle grec, on y échange avec les Gaulois, on y accueille des navigateurs, des savants et des marchands venus de tout le pourtour méditerranéen.
Dans ce creuset cosmopolite, la science grecque s’épanouit, notamment l’astronomie. On s’interroge sur la forme de la Terre, on scrute le ciel, on commence à modéliser la sphère céleste. C’est dans cette atmosphère que Pythéas développe une conviction audacieuse : la Terre est ronde, et ses phénomènes célestes peuvent être observés et démontrés par la navigation.
Massalia devient alors la première cité du monde à déterminer sa latitude à l’aide d’instruments et de calculs géométriques. Un détail qui en dit long sur l’environnement intellectuel dans lequel baigne le futur explorateur.

Un projet fou : aller voir si le soleil se couche toujours
C’est une idée simple, mais qui va bouleverser son époque : et si, en allant suffisamment au nord, on finissait par atteindre une région où le Soleil ne se couche jamais en été ? Cette hypothèse, issue de la géométrie céleste, semble folle pour beaucoup. Mais pour Pythéas, elle mérite qu’on y consacre un voyage.
Vers 325 av. J.-C., il équipe un navire, rassemble quelques compagnons et quitte Marseille. Son objectif : vérifier par l’observation que les cycles du Soleil varient selon la latitude. Un pari à haut risque dans un monde où les terres au nord de la Gaule sont encore en grande partie inconnues.

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Une route longue et incertaine
Le périple de Pythéas reste en partie mystérieux, faute de texte original conservé. Mais les auteurs antiques qui l’ont cité permettent de reconstituer les grandes lignes. Il passe le détroit de Gibraltar (alors appelé les colonnes d’Hercule), longe les côtes ibériques, puis remonte le long du littoral atlantique jusqu’à la Bretagne. Il passe probablement par l’île d’Ouessant, puis traverse la Manche.
Il atteint enfin une grande île qu’il décrit en détail : la Bretagne, autrement dit la Grande-Bretagne. Il est le premier à la cartographier sommairement, à en estimer la taille, et à en décrire les habitants. Il note que l’île a une forme triangulaire, et estime son périmètre à environ 42 500 stades – l’équivalent de 7 800 km, une approximation étonnamment juste pour l’époque.
Mais là encore, ce n’est qu’un début. Son voyage a une visée plus ambitieuse : atteindre la mystérieuse Thulé, un point encore plus septentrional, là où le Soleil ne disparaît plus.

Thulé : à la lisière du monde
Après six jours de navigation vers le nord depuis les côtes britanniques, Pythéas atteint une terre inconnue qu’il appelle Thulé. Sa description correspond à une île proche du cercle polaire arctique. Il y observe un phénomène fascinant : le soleil de minuit. Pour lui, la théorie est confirmée. À certaines latitudes, en été, le Soleil reste visible 24 heures sur 24.
Le lieu exact reste débattu. Certains chercheurs penchent pour l’Islande, d’autres pour la Norvège, les îles Féroé, ou même le nord de l’Écosse. Quoi qu’il en soit, Pythéas a mis les pieds bien au-delà des limites géographiques connues par ses contemporains.
Il s’arrête là où commence la banquise, au seuil de la « mer figée », où le bateau ne peut plus avancer. Il observe, décrit, note. L’expédition touche à sa fin, mais l’essentiel est accompli.

Une moisson d’observations scientifiques inédites
Si le voyage est remarquable par sa portée géographique, il l’est aussi – et peut-être surtout – par la rigueur de ses observations. Pythéas n’est pas un aventurier romantique, c’est un scientifique. Il établit un lien clair entre les marées et la Lune, une avancée majeure dans la compréhension des phénomènes naturels.
Il utilise des instruments rudimentaires mais efficaces pour calculer la latitude des lieux visités. Il décrit avec précision des phénomènes alors inconnus dans le monde méditerranéen : aurores boréales, nuits blanches, oscillations extrêmes du jour et de la nuit.
Ses récits mentionnent également les peuples rencontrés, leurs modes de vie, leurs habitations, leurs pratiques agricoles. Il note par exemple que les habitants de Thulé cultivent des céréales et produisent du miel, un détail surprenant pour les Grecs, qui imaginaient ces régions comme inhabitées et hostiles.

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Une œuvre disparue, une influence durable
L’œuvre de Pythéas, vraisemblablement intitulée Sur l’Océan, n’a pas traversé les siècles. Elle fut pourtant citée par de nombreux auteurs antiques. Strabon, Diodore de Sicile, Pline l’Ancien et d’autres en discutent – parfois pour l’encenser, parfois pour en douter.
Strabon notamment, écrit plus de deux siècles après Pythéas, remet en cause plusieurs de ses affirmations, les jugeant invraisemblables. Mais il est probable qu’il n’ait jamais eu accès au texte original, ce qui n’empêche pas ses critiques d’avoir longtemps jeté le doute sur la réalité du voyage.
Il faudra attendre le XIXe siècle et l’essor de la philologie pour que les savants reconstituent, à partir des citations et fragments conservés, l’importance réelle de Pythéas. Aujourd’hui, la communauté scientifique s’accorde à dire que son voyage a bien eu lieu, et qu’il marque une avancée majeure dans l’histoire de la géographie et de l’astronomie.

L’héritage : ouvrir la voie à la science moderne
Le travail de Pythéas ne s’arrête pas à ses propres découvertes. Il inspire ceux qui lui succèdent. Un siècle plus tard, le savant grec Ératosthène, lui aussi convaincu de la rotondité de la Terre, s’appuiera sur des calculs similaires pour estimer sa circonférence à 40 000 km – une valeur étonnamment proche de la réalité.
En reliant navigation, observation du ciel et étude des peuples, Pythéas pose les bases d’une approche scientifique de l’exploration. À une époque dominée par les récits mythologiques, il démontre qu’il est possible de décrire le monde tel qu’il est, non tel qu’on l’imagine.

L’histoire a mis du temps à reconnaître la valeur de Pythéas. Ni conquérant, ni commerçant, il est d’abord un esprit libre. Ce qu’il cherche, ce n’est pas la gloire ni la richesse, mais la vérité. Il part pour comprendre le monde, et revient avec une vision élargie de la Terre, du ciel, et de l’humanité.

Il reste aujourd’hui comme l’un des premiers à avoir abordé scientifiquement l’exploration. Un explorateur méthodique, précis, et résolument tourné vers l’inconnu.

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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