6 questions à… Bruno Belmont, l’Expert du monde de la voile dans le groupe BENETEAU

Economie

Rendez-vous avec celles et ceux qui font le nautisme d’aujourd’hui et de demain : cette semaine, Bruno Belmont, Expert Voile Groupe BENETEAU…

Rendez-vous avec celles et ceux qui font le nautisme d’aujourd’hui et de demain : cette semaine, Bruno Belmont, Expert Voile Groupe BENETEAU…

Le Figaro Nautisme : De Pierre 1er de Florence Arthaud à la création de la gamme Lagoon, votre carrière dans le nautisme est incroyablement éclectique. Pouvez-vous nous expliquer comment vous en êtes arrivé à développer des bateaux aussi différents ?

Bruno Belmont : " J’ai un cousin qui était constructeur de bateaux. J’ai donc tout naturellement commencé avec lui à aimer la construction en bois. Parallèlement, depuis mes 9 ans, je dessinais des bateaux sur tous mes cahiers d’école au grand désespoir de mes professeurs... Je voulais dès cet âge devenir architecte naval. C’était mon but inflexible, ce que je voulais vraiment faire ! Du coup, l’année de mon bac, je suis allé voir le directeur du cours d’architecture navale de Southampton. J’ai négocié avec lui pour qu’il me prenne quels que soient mes résultats, avec les trois mots d’anglais que je parlais à l’époque. J’ai pu suivre leur cursus tout en continuant à beaucoup naviguer en compétition ou en convoyage : je n’étais pas trop mauvais pour régler une grand-voile et je ne faisais pas trop de bêtises quand on me confiait la barre. Et surtout, j’étais capable de faire à manger dans toutes les conditions de mer ! Un argument de poids pour embarquer.
En 1988, j’ai travaillé sur la conception de deux one toners (des monocoques de compétition de 12 mètres environ) chez Daniel Andrieu, dont un était construit par JTA, la cellule compétition de Jeanneau, fondée par Jean-François de Prémorel. Au retour de la One Ton Cup, Jean-François travaillait sur le devis d’un trimaran de 60’, une taille de multicoque sur laquelle j’avais déjà travaillé [NDLR : le trimaran Apricot]. Je l’ai donc aidé à finaliser le devis de ce bateau qui allait devenir le Pierre 1er de Florence Arthaud ! Nous avons remporté l’appel d’offres devant les grands chantiers spécialisés de l’époque. Du coup, j’ai intégré JTA en tant que chef de projet du bateau : une chance incroyable pour mon âge ! Jean-François était du genre à vous jeter dans le grand bain en toute confiance !


Pour conserver ses équipes entre deux projets de course, Jean-François avait pris la commande d’un premier puis d’un second catamaran de croisière : le Lagoon 55 et son sistership Estive. Je suis arrivé à la signature d’un troisième bateau. Les commandes nous parvenaient régulièrement, stabilisant l’équipage JTA. A mes heures perdues (on devait bosser environ 15 heures par jour), Jean-François m’avait demandé de veiller à la structure de ces Lagoon mais aussi explicitement de concevoir un véritable plan de plomberie. C’est devenu une arlésienne que j’ai tenté de « fourguer » aux stagiaires que je faisais venir de Southampton (Marc Dognin, pilier de VPLP), Seb Magnen (double vainqueur de la Mini-Transat). Mais nous étions tellement pris par la course qu’aucun des 20 propriétaires de Lagoon 55 n’aura jamais eu un plan de plomberie digne de ce nom...


A la suite du succès de Pierre 1er, Fleury Michon 9 et RMO à la Route du Rhum 1990, Jean-François m’a confié la direction de JTA pour la partie compétition, tout en me faisant participer activement aux choix de développement de Lagoon.
Quand il a quitté Jeanneau, l’équipe qu’il avait mise en place pour Lagoon m’a demandé de les rejoindre. Les temps étaient compliqués pour le chantier. J’étais, à l’époque, mobilisé sur le tournage de Waterworld à Hawaï [le trimaran du film de Kevin Costner est un sistership de Pierre 1er, construit chez JTA et c’est Bruno Belmont qui est à la barre du bateau. Le tournage a duré presqu’un an], j’ai donc dû gérer à distance. Cela n’a pas vraiment été simple... C’est ainsi qu’avec Fred Morvant, Yves Bulor et Jean-Luc Bonté on s’est retrouvé à tenter de maintenir la marque Lagoon à flot jusqu’au dépôt de bilan de Jeanneau.


Le rachat par BENETEAU a été doublement salvateur : d’abord parce que François Chalain, alors DGA en charge de tous les produits nous a énormément soutenus, ensuite parce que Dieter Gust [cofondateur de CNB, chantier racheté par BENETEAU à la même époque] a rapidement compris l’intérêt de nous associer pour exister face aux deux mastodontes qu’étaient nos repreneurs BENETEAU & Jeanneau !
Du coup, moi qui ne m’étais jamais vraiment intéressé au produit Lagoon, j’ai dû suivre une formation express pour comprendre ce marché émergeant et définir au plus vite de nouveaux codes pour faire grandir la marque. J’ai eu la chance de croiser rapidement des utilisateurs, et de comprendre que les marges de progression étaient immenses. Voilà comment on passe d’un trimaran ORMA à des catamarans de croisière..."

Le Figaro Nautisme : En travaillant sur les premiers catamarans de croisière pour Lagoon, imaginiez-vous un tel succès auprès du public ?

Bruno Belmont : "Ce serait très présomptueux ! Non, on voyait bien qu’il y avait un décalage entre les attentes et les produits proposés. En travaillant l’ergonomie, le confort, la convivialité, on pouvait séduire de nouveaux profils. Mais on ne s’attendait pas à un tel boum ! À l’époque, j’étais convaincu que le catamaran de croisière devait évoluer vers davantage de confort à bord, une idée qui ne plaisait pas forcément à toute l’équipe [Rires]. François Chalain m’a énormément soutenu dans cette voie, et nous a confié deux hommes déterminants ; un chef de projet et un homme méthode hyper performants : Guy Audouin et Didier Poirier, et nous avons développé, dans cet esprit, la gamme Lagoon avec les 410, 470, puis 380 et 570... Nous sommes passés de quelques dizaines de catamarans par an à plus d’une centaine... par modèle. Cela a été une véritable explosion."

Le Figaro Nautisme : Concrètement, comment se passe la conception d’un nouveau bateau dans un grand groupe comme BENETEAU ?

Bruno Belmont : "Les grandes lignes des marques et des modèles sont définies par un « Design Center » qui veille à préserver l’identité de chaque gamme pour les confier ensuite à un chef de produit qui se consacre à développer les meilleurs bateaux possibles, dans le respect des marqueurs définis. Selon le degré d’industrialisation nécessaire, la durée et le coût du développement peuvent beaucoup varier, mais l’objectif reste toujours le même : proposer au marché des bateaux séduisants et adaptés à leurs usages. Ce « Design Center » a aussi en charge d’imaginer ce que devront être les bateaux pour chaque marque du groupe dans les années à venir."


Le Figaro Nautisme : Justement, votre métier consiste à imaginer les bateaux de demain. A quoi ressembleront nos bateaux dans 10 ou 20 ans ?

Bruno Belmont : "Vaste question ! Je pense que les profils des utilisateurs vont continuer à s’élargir. Notre mission est de donner envie au plus grand nombre d’aller sur l’eau. Dans le passé, cet élargissement a permis d’augmenter progressivement le taux de primo-accédants, face au monde historique des passionnés. Il faudra donc continuer à simplifier l’usage, faciliter la vie à bord, rendre l’utilisation des voiles plus ludique ou plus asservie, augmenter le confort, mieux expliquer le bonheur qu’il y a à naviguer à la voile, en silence. La somme de toutes ces pistes d’amélioration va faire évoluer la forme que prendra le bateau de demain. Il est probable, par exemple, que le mât ne restera pas au centre du bateau... Je pense aussi que nous avons encore un gros travail à réaliser sur de nouvelles formes de carènes. Et surtout, nous allons voir des offres toujours plus spécialisées selon que vous naviguiez en eaux protégées, en cabotage côtier ou en vie à bord prolongée... Nous n’avons pas fini de progresser et c’est tant mieux !"


Le Figaro Nautisme : Le bateau sur lequel vous avez travaillé et dont vous êtes le plus fier ?

Bruno Belmont : " C’est sans doute le Lagoon 440. On s’est autorisé une grande liberté de conception pour ce catamaran. Nous n’étions pas très à l’aise à l’idée de présenter ce projet très, très innovant à tous les dirigeants du groupe. Au final, au lieu de distiller les innovations présentes sur ce véritable « Concept Boat » dans le temps et sur différents modèles, la direction nous a autorisé à tout concentrer sur le 440. Et le marché a été plus que réceptif ! Cette réunion de présentation qui devait décider de ce que serait finalement le Lagoon 440 a été très révélatrice des tensions qui peuvent exister dans une entreprise, entre les créatifs qui poussent à fond et les commerciaux qui se méfient d’un produit trop disruptif. Cette fois, c’est le côté créatif qui a emporté la décision ! Ce bateau a vraiment changé la donne et a fait exploser les ventes ! "


Le Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?

Bruno Belmont : " La dernière, c’est un essai avec des journalistes sur le Lagoon 38 à Canet en Roussillon. La prochaine, je l’attends avec impatience : 15 jours en famille aux BVIs sur le Lagoon 52 qu’un ami me prête ! "

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.