
L’appel du large
Dans Port de mer au soleil couchant (1639), Claude Gellée, dit Le Lorrain, fait miroiter la mer comme une promesse. Le soleil s’abaisse lentement, les navires lèvent l’ancre, les silhouettes s’affairent sur le quai, minuscules face à l’horizon. Tout respire l’équilibre et la mesure. L’artiste ne cherche pas le réalisme d’un port précis, mais la beauté d’un monde ordonné.
Chez Le Lorrain, la mer est d’abord une lumière. Elle éclaire, structure, adoucit. Ce port imaginaire reflète une époque où le voyage maritime évoque la prospérité et la découverte, non le péril. Dans cette composition calme et dorée, la mer devient décor métaphysique : l’espace du possible, un pont entre la terre et le ciel. On s’y attarde, comme devant un soir d’été, pris entre le désir de partir et la douceur de rester.

La tempête et les hommes
Deux siècles plus tard, le Louvre change de ton. Devant Le Radeau de la Méduse (1818-1819), la mer n’a plus rien d’apaisant : elle rugit. Théodore Géricault peint un drame humain inspiré d’un naufrage réel : celui de la frégate La Méduse, échouée au large du Sénégal. Les survivants, abandonnés sur un radeau, dérivent au gré des vagues.
Le tableau, immense, submerge le spectateur. Tout y est mouvement : le roulis des flots, le ciel noir, les corps épuisés qui s’accrochent à la vie. Géricault, fasciné par le réel, étudie des cadavres à la morgue pour comprendre la couleur de la mort et l’ombre du désespoir. Le résultat est une mer indomptable, presque animale, qui engloutit tout; les hommes, leur orgueil et leur hiérarchie.
Cette toile n’est pas seulement un chef-d’œuvre romantique : c’est une dénonciation. Sous la houle, c’est toute une société qui tangue. La mer devient ici symbole du destin collectif, miroir des fautes humaines. Là où Le Lorrain peignait la paix, Géricault dévoile la démesure, l’instinct de survie, la fureur des éléments.

L’élan et la gloire
Quelques salles plus loin, la mer se tait, mais son souffle persiste dans la pierre. Dressée au sommet du grand escalier Daru, la Victoire de Samothrace (vers 190 av. J.-C.) déploie ses ailes comme deux voiles gonflées par le vent. Taillée dans le marbre, elle avance, portée par une proue de navire.
Découverte en 1863 sur l’île grecque de Samothrace, cette sculpture célèbre une victoire navale. Au Louvre, sa mise en scène renforce sa puissance : on gravit les marches comme un marin qui affronte le vent. La déesse Niké ne triomphe pas seulement d’un ennemi, mais du tumulte même.
Son mouvement suggère une mer invisible, celle du vent, du souffle et de la vitesse. Le marbre devient écume, la pierre semble vibrer. Ici, la mer n’est plus drame ni décor : elle devient énergie, propulsion, élévation. Samothrace résume l’idée d’un monde antique où dompter la mer, c’était maîtriser le destin.

Le silence du rivage
Puis tout s’apaise à nouveau. Dans Jeune homme nu assis au bord de la mer (1835-1836), Hippolyte Flandrin renverse la perspective : plus de navire, plus de foule, plus de vent, juste un homme seul, nu, face à la mer. Le bleu pâle de l’eau se fond dans le ciel, la ligne d’horizon s’efface. Tout semble suspendu.
L’œuvre, d’une simplicité presque religieuse, frappe par son intériorité. Le jeune homme ne regarde pas vraiment la mer : il se regarde à travers elle. La mer devient un état d’âme, un silence immense. Flandrin, élève d’Ingres, choisit la pureté du trait et la retenue du geste. Rien n’est spectaculaire, tout est intime.
Cette peinture clôt le voyage sur une note de recueillement. Après la lumière, la tempête et la gloire, voici la mer intérieure : celle du doute, du repos, du temps arrêté. C’est peut-être la plus moderne de toutes, parce qu’elle parle encore à chacun de nous.

Le Louvre n’est pas un musée maritime, mais il raconte malgré tout une épopée d’eau et de vent. Ces quatre œuvres ne forment qu’une petite escale dans un océan d’images : d’autres peintres ont capté des ports, des rivages ou des voyages ; d’autres sculptures évoquent la mer à travers les dieux, les nymphes ou les marins.
En suivant ce fil bleu à travers les galeries, on découvre un autre Louvre : celui des horizons. La mer y apparaît tour à tour apaisée, tragique, victorieuse ou méditative. Elle traverse les styles, unit les époques et relie les hommes.
Sous la pierre et la toile, elle murmure toujours le même appel : celui du large, de la liberté et du rêve. Qu’on la contemple chez Le Lorrain ou qu’on la redoute chez Géricault, qu’on la sente vibrer sous la Victoire de Samothrace ou qu’on la devine derrière le silence de Flandrin, la mer du Louvre parle d’une seule voix : celle de l’humanité face à l’infini.