
Une pyramide des secondes vies
Contrairement à l’idée reçue, un voilier de course moderne n’est pas « usé » après un Vendée Globe ou une Route du Rhum. Il est amorti sportivement, ce qui n’est pas la même chose. L’exemple de la flotte IMOCA est révélateur : sur les 40 bateaux au départ du Vendée Globe 2024, seuls 13 étaient neufs, les autres étaient issus de générations précédentes, optimisés et revendus d’un projet à l’autre.
Autour de ces classes médiatisées (IMOCA, Class40, Figaro 3 et même Mini 650...), il existe un véritable mercato. Le site de la classe IMOCA recense une vingtaine de bateaux de 60 pieds à vendre, certains encore capables de viser les podiums, d’autres déjà orientés vers des programmes plus modestes. Même logique en Class40, avec une vingtaine d’unités disponibles sur les bourses de vente spécialisées ou les sites de brokers internationaux.
La première « seconde vie » d’un bateau de course consiste donc souvent à rester... en course, mais dans les mains d’un autre skipper, souvent disposant d’un budget moindre, ne lui permettant pas de se faire construire un bateau neuf. Le bateau descend d’une marche dans la pyramide de la performance, change de sponsor, mais continue de courir plusieurs saisons avant de devenir vraiment obsolète sur le plan sportif.
Du tour du monde au grand voyage rapide
Quand le niveau de performance n’est plus suffisant pour suivre le rythme des nouveaux designs, certains coursiers passent du côté des plaisanciers avertis. Ils sortent alors du circuit officiel pour être transformés en bateaux de voyage très rapides, capables de couvrir en quelques jours ce qu’un croiseur « classique » fait en deux semaines.
Les exemples se multiplient. L’ex-IMOCA Fuji, qui a été skippé par Loïck Peyron ou Catherine Chabaud, a ainsi été converti en voilier de croisière rapide, avec un intérieur réaménagé, plus de confort et un plan de pont assagi sans renier ses performances. Le maxi sloop Samurai, ancien recordman des courses autour du monde, a subi une refonte spectaculaire pour devenir un superyacht de croisière hautes performances, capable de naviguer en famille ou avec des invités tout en conservant un vrai potentiel de vitesse. Idem avec Vitalia, ex Orange 2...
D’autres projets sont plus « artisanaux » mais tout aussi révélateurs. Le plan Whitbread Falken, racheté très fatigué par le navigateur américain Andy Schell, a été entièrement restauré pour devenir son bateau de voyage idéal, dédié aux grandes traversées en équipage, du Grand Nord à l’Atlantique sud. Dans la même veine, des plaisanciers ont pris en main des Open 60 issus de la course au large pour naviguer en couple ou en petite équipe, y compris au cœur de l’hiver dans la baie des îles en Nouvelle-Zélande, profitant de la solidité structurelle et de l’isolation d’origine de ces voiliers pensés pour affronter les Quarantièmes ou les Cinquantièmes.
Ces reconversions demandent évidemment du temps et des moyens : revoir l’intérieur, réduire la voilure, sécuriser les manœuvres, ajouter chauffage, protection de cockpit, guindeau digne de ce nom, électronique simplifiée... Mais elles offrent un bateau unique, marin, très rapide, qui ouvre la porte à des programmes ambitieux, y compris des navigations hivernales en Atlantique ou en mer du Nord. Ceux qui osent prolonger la saison s’appuient sur un routage météo professionnel et des services spécialisés comme METEO CONSULT Marine pour ne pas se faire surprendre par une dépression mal anticipée.

Bateau-école, charter engagé, expédition scientifique : des troisièmes vies collectives
Tous les anciens bateaux de course ne finissent pas entre les mains d’un particulier. Un certain nombre rejoignent des structures professionnelles qui misent justement sur leur ADN de « bêtes de large ».
Des écoles de voile hauturière rachètent ainsi d’anciens grands bateaux de course pour proposer des stages de formation aux navigations hauturières, des convoyages encadrés ou des programmes d’apprentissage pour les candidats au grand départ. Le bateau, très toilé et souvent dépouillé, oblige à naviguer proprement, à anticiper la météo, à gérer la nuit en équipage réduit : autant d’arguments pédagogiques difficiles à retrouver sur un croiseur de série plus sage.
D’autres projets se structurent autour du charter et de l’aventure. Des sociétés spécialisées organisent des croisières participatives sur d’ex-bateaux de course, en mer du Groenland, en Patagonie ou sur les routes de transatlantiques. La vitesse du bateau permet de jouer plus finement avec les fenêtres météo, d’écourter les passages délicats et d’allonger les escales. Beaucoup de ces navigations se déroulent en dehors de la haute saison, justement parce que les propriétaires apprécient la lumière et les conditions plus musclées de l’hiver, à condition de s’équiper chaudement et de naviguer en bon marin.
Les ONG et projets scientifiques s’y intéressent également. Un voilier de course reconverti peut devenir plateforme de mesure pour suivre l’état de l’océan, tester des matériaux plus sobres ou servir de vitrine flottante à des programmes de recherche, avec un impact carbone très inférieur à celui d’un navire océanographique classique de taille équivalente. La possibilité de couvrir rapidement de grandes distances et d’accéder à des zones éloignées séduit les équipes de chercheurs, à condition que le bateau soit suffisamment fiabilisé.
Enfin, certains ex-défis de l’America’s Cup, trop pointus pour la croisière familiale, trouvent leur place sur le marché du charter à la journée et de l’incentive. Des bateaux emblématiques deviennent ainsi supports de sorties régate pour entreprises, en baie ou en rade abritée, offrant aux équipiers d’un jour la sensation de barrer une machine qui a écrit un morceau d’histoire.
Quand le rêve se fissure : stockage, abandon, déconstruction
Tout n’est pas rose pour autant. Plusieurs générations de bateaux de course restent aujourd’hui sans programme ni repreneur identifié. Certains attendent leur heure sous bâche, posés sur un chantier en périphérie d’un port, en espérant un futur skipper ou un projet associatif. D’autres finissent mal entretenus, puis abandonnés à leur sort sur un corps-mort ou au fond d’une darse.
Les opérations de dépollution menées récemment dans certaines rades françaises rappellent la réalité : des voiliers qui furent un jour les fiertés de leurs propriétaires deviennent, après des années d’abandon, des épaves de composite éventré, à extraire et à traiter dans des conditions délicates pour l’environnement.
Faut-il rêver d’un ex-bateau de course pour sa propre navigation ?
Pour les plaisanciers qui lisent ces lignes, la tentation est réelle : accéder, pour le prix d’un grand croiseur de série, à un 50 ou 60 pieds issu de la course au large, taillé pour avaler les milles et supporter les pires coups de tabac. La réalité est plus nuancée. Les témoignages de propriétaires de ces machines reconverties le montrent bien : la récompense est immense, mais l’exigence technique, le budget d’entretien et la courbe d’apprentissage sont d’un autre niveau que sur un croiseur de série.
La vraie « seconde vie » réussie d’un bateau de course, qu’elle soit sportive, familiale ou professionnelle, repose sur trois ingrédients : un projet clair, un équipage qui a conscience des contraintes et des joies de ce type de bateau, et une préparation sérieuse, de l’architecture navale jusqu’au suivi météo au quotidien. À ces conditions, un ancien bateau de course au large peut enchaîner trois ou quatre existences successives, de la ligne de départ d’un tour du monde à la croisière rapide en plein hiver, avant de rejoindre, espérons-le, une filière de recyclage digne de ce nom plutôt qu’un cimetière d’épaves.
Et avant de partir en mer, ayez les bons réflexes en consultant la météo sur METEO CONSULT Marine et en téléchargeant l'application mobile gratuite Bloc Marine.
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