Les anciennes routes maritimes : comment les couloirs de vent d’hier structurent encore les croisières d’aujourd’hui

Culture nautique
Par Virginie Lepoutre

Depuis que des coques en bois se sont aventurées au large, les marins n’ont jamais navigué au hasard. Bien avant les cartes électroniques et le routage météo, les routes maritimes se dessinaient déjà, guidées par les vents dominants, les courants et la promesse d’épices, d’or ou de soie. Ce réseau planétaire, patiemment tracé par des générations de navigateurs, continue de façonner les itinéraires des plaisanciers au long cours, qu’ils partent pour une transat en famille ou une année sabbatique ou un tour du monde de plusieurs années.

Depuis que des coques en bois se sont aventurées au large, les marins n’ont jamais navigué au hasard. Bien avant les cartes électroniques et le routage météo, les routes maritimes se dessinaient déjà, guidées par les vents dominants, les courants et la promesse d’épices, d’or ou de soie. Ce réseau planétaire, patiemment tracé par des générations de navigateurs, continue de façonner les itinéraires des plaisanciers au long cours, qu’ils partent pour une transat en famille ou une année sabbatique ou un tour du monde de plusieurs années.
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Des routes nées des vents plutôt que des cartes

Les anciennes routes maritimes ne sont pas seulement des traits sur un atlas. Ce sont d’abord des couloirs de vent. Dans l’Atlantique comme dans le Pacifique, les alizés soufflent de manière assez régulière au nord et au sud de l’équateur, générés par de grandes zones de hautes pressions subtropicales. Dès l’époque des grandes découvertes, ces vents sont devenus la voie naturelle des voiliers hauts comme des immeubles, aux carènes larges, trop lourds et aux gréements peu adaptés pour remonter au près pendant des semaines.
Dans l’océan Indien, la logique est différente mais tout aussi puissante. Ici, ce sont les vents de mousson qui alternent leur direction au fil des saisons et dessinent un calendrier de navigation précis. Les navigateurs arabes, indiens et austronésiens avaient compris depuis deux millénaires que l’on monte vers l’Inde ou la Malaisie avec la mousson de nord-est, avant de rentrer chez soi avec la mousson de sud-ouest quelques mois plus tard.
Ces systèmes de vent sont si structurants que, malgré la généralisation du moteur et du routage météo, la majorité des grandes croisières modernes emprunte encore ces mêmes couloirs. Ce n’est pas seulement une histoire de performance à la voile. C’est aussi une question de confort, de sécurité et de météo gérable pour des équipages souvent familiaux.


L’océan Indien, première autoroute maritime de l’histoire

Bien avant que les caravelles européennes ne se lancent vers les Amériques, l’océan Indien est déjà parcouru par un véritable réseau international. Du IIIe siècle avant notre ère au début des temps modernes, un système de routes maritimes relie la côte swahilie d’Afrique de l’Est, la péninsule Arabique, l’Inde, Ceylan, l’Asie du Sud Est et jusqu’à la Chine.
Les marchands arabes chargent encens, ivoire, or et esclaves vers le nord, puis ramènent textiles, épices et céramiques. Les chroniques évoquent des flottes romaines quittant l’Égypte pour gagner les ports de l’Inde en profitant des moussons, un aller-retour qui pouvait s’étaler sur près de deux ans en comptant les temps d’attente entre deux saisons de vent favorables.
Pour un plaisancier qui lève l’ancre aujourd’hui à Oman, au Kerala ou en Thaïlande pour un long périple, les contraintes sont étonnamment proches. Les fenêtres météo restent dictées par la mousson, avec une saison de navigation qui permet de gagner le Sri Lanka, les Maldives, puis les Seychelles ou Madagascar, avant un retour ou une poursuite vers la mer Rouge. Les guides de grande croisière reprennent d’ailleurs quasiment la même "horloge des vents" que les pilotes arabes médiévaux, en ajoutant simplement la couche de prévisions fournies par des services météos pour fiabiliser le timing des départs et l’évitement des coups de vent locaux.
L’héritage est visible aussi à terre. Malacca, Zanzibar, Goa ou Mascate restent des escales majeures. Leurs vieux quartiers de négociants, bâtis à l’époque où l’on taxait chaque coque chargée de poivre ou de noix de muscade, sont désormais explorés par des équipages en tenue de croisière qui suivent sans toujours le savoir les traces des grands convois d’épices.

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Atlantique, la vieille route des alizés devenue terrain de jeu des transats

Dans l’imaginaire de nombreux plaisanciers européens, les anciennes routes maritimes se résument souvent à la grande boucle Atlantique. Elle aussi est héritée de contraintes de vent très anciennes. Pour contourner les calmes équatoriaux, les navigateurs ibériques apprennent dès le XVe siècle à descendre d’abord au large en direction des Canaries et du Cap Vert, avant de laisser filer le bateau plein ouest dans le couloir des alizés en direction des Caraïbes ou du nord-est du Brésil.
Cette route en forme de grand arc est restée la plus logique pour traverser l’Atlantique à la voile. Les régates et rallyes transatlantiques de l’automne, mais aussi les équipages en année sabbatique, reprennent exactement ce schéma en visant un départ après la saison des cyclones et avant les premiers coups de vent hivernaux sur l’Europe. La traversée entre le Cap Vert et les Antilles tourne autour de deux mille milles nautiques, soit deux bonnes semaines pour un voilier de croisière moderne, avec du vent portant quasi constant lorsque les alizés sont bien installés.
Le retour se fait rarement "tout droit". Les mêmes contraintes de vent qui poussaient jadis les galions espagnols à remonter vers les Açores avant de plonger sur l’Europe obligent encore les équipages actuels à dessiner une grande courbe nord, en profitant cette fois des vents d’ouest. Les cartes météo et le routage numérique n’ont fait que raffiner une logique vieille de cinq siècles.


Pacifique, le "coconut milk run" dans le sillage des routes d’exploration

Dans le Pacifique, le vocabulaire a changé mais pas la philosophie. Ce que les magazines anglo saxons appellent le « coconut milk run » désigne un itinéraire populaire qui part du canal de Panama, fait escale aux Galápagos puis traverse vers les Marquises, la Polynésie française et parfois au-delà vers Tonga, Fidji et la Nouvelle-Calédonie.
Pour beaucoup de bateaux de voyage, cette traversée entre Panama et les Marquises représente le plus grand saut océanique de leur vie, souvent plus de trois mille milles sans terre. Pourtant, les récits de croisière insistent sur un trait commun. Une fois la bonne saison choisie et la zone cyclonique évitée, la mer se laisse apprivoiser avec un long régime de vent portant régulier. Les équipages décrivent des journées rythmées par les quarts, les ajustements de voiles et les bancs de poisson volant, avec parfois le sentiment de suivre une « autoroute invisible » entre deux archipels.
Là encore, il ne s’agit pas d’une invention contemporaine. Même si les chercheurs débattent encore de la chronologie exacte de la colonisation de la Polynésie, les travaux récents sur les navigations austronésiennes montrent que ces peuples savaient déjà exploiter les cellules de vent et les courants du Pacifique pour relier les archipels entre eux bien avant l’arrivée de Magellan.


Ce que ces routes changent concrètement pour le plaisancier moderne

Pour un équipage de grande croisière, les anciennes routes maritimes ne sont pas seulement une curiosité historique. Elles conditionnent trois paramètres essentiels du projet.
Le premier est le calendrier. Suivre les routes du vent, c’est accepter que l’horloge ne soit plus celle du bureau mais celle des saisons. On part des Canaries ou du Cap Vert à la fin de l’automne pour bénéficier des alizés établis, on quitte la zone caraïbe avant le cœur de la saison cyclonique, on traverse le Pacifique lorsque les dépressions tropicales reculent vers le nord, on se faufile dans l’océan Indien à la bonne mousson. Les grandes boucles autour du monde dessinées par les rallyes et les guides de voyage reprennent presque à l’identique le tempo des siècles précédents, même si le suivi des modèles fournis par des services comme METEO CONSULT permet aujourd’hui d’affiner chaque départ à quelques jours près.
Le second est le choix des escales. Les ports qui se trouvaient à l’intersection des anciennes routes restent des étapes évidentes, pour des raisons très concrètes. Ils sont souvent bien abrités, disposent d’un arrière-pays riche en ressources et ont développé, au fil des siècles, des marchés et des services tournés vers la mer. De Mindelo aux Açores, de Horta aux Canaries, de Papeete à Zanzibar, ces escales résument à elles seules l’héritage d’un commerce lointain et la réalité très actuelle d’une logistique de plaisance au long cours.
Enfin, ces routes influencent la manière de vivre le voyage. Les familles qui partent une année ou davantage pour traverser l’Atlantique, rêver devant les lagons polynésiens puis revenir en Méditerranée construisent en fait leur itinéraire en s’alignant sur ces couloirs de vent. Elles apprennent à « penser comme un navigateur ancien », à observer les saisons plus que les frontières et à accepter que certains détours soient indispensables, non pour voir plus de pays, mais pour rester dans les bonnes zones de vent et éviter les pièges météo.

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Naviguer en suivant les fantômes des grandes routes

Lever l’ancre aujourd’hui pour une transat ou un tour du monde, c’est donc bien plus que cocher un rêve sur une liste. C’est entrer dans une géographie héritée. Que l’on file sous spi vers la Martinique, que l’on patiente pour attraper la bonne mousson à Cochin ou que l’on vise les Marquises avec un voilier de location, on trace une route déjà empruntée par des boutres chargés d’épices, des galions espagnols ou des prahus austronésiens.
La différence, c’est que la motivation a changé. Là où l’on parlait autrefois d’or, d’esclaves ou de monopole sur la noix de muscade, il est surtout question aujourd’hui de liberté, de temps long et de bains dans une eau tiède au pied du bateau. Mais tant que la planète gardera ses régimes de vents dominants, les anciennes routes maritimes resteront le squelette invisible de nos grandes croisières.

Et avant de partir en mer, ayez les bons réflexes en consultant la météo sur METEO CONSULT Marine et en téléchargeant l'application mobile gratuite Bloc Marine.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
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Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.