La nostalgique météo du Vendée Globe
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La météo du Vendée Globe : Même temps, autres mœurs.
Ils savent où ils vont… ils y vont quand même, ils sont courageux. Pour la première, en 1989, il y avait une grande part d’inconnue, ils s’imaginaient le pire ou ne voulaient pas l’imaginer, ils étaient courageux, surtout audacieux.
Le routage, quel vilain mot pour dire « assistance du météorologue », était autorisé. J’ai eu la chance de vivre "la course du siècle version mer" de l’intérieur grâce à Jean-Luc Van den Heede, alias VDH, qui 3 ans plus tôt, avait fini 2éme du BOC Challenge, le Tour du Monde en Solitaire avec escales. Nous venions de créer METEO-CONSULT, Jean-Luc avait mis ses derniers sous dans le matériel indispensable, nous nous sommes accordés : « le nom du bateau contre notre météo ». VDH a porté les couleurs de 3615 MET, notre produit phare de l’époque, dans une aventure inoubliable pour finir sur le podium de cette grande première.
Le nom du bateau en échange d’une assistance météo… Vous imaginez l’importance que le navigateur expérimenté attachait à cette aide. La météo était l’arme fatale.
Pesant trop sur la course, le routage fût interdit dès la 2ème édition. Aujourd’hui, les skippers utilisent tous les mêmes fichiers de vents sous un logiciel de navigation. Ce n’est plus la même course. Pourtant les conditions météo, quoiqu’on pense du changement climatique, ne sont pas différentes. La météo, toujours aussi variée (ils traversent tous les climats) est devenue plus claire, plus prévisible. La météo n’est plus la priorité. Plus de grandes options, le parcours est contraint par des portes dites de sécurité.
Evidemment je le regrette. Non seulement, il faut l’avouer, parce que le « routeur » avait un rôle important et pouvait vivre sa propre aventure, sa propre compétition, parce qu’il liait une complicité indéfectible avec le skipper, mais aussi parce que la course était plus ouverte, plus stratégique et les rebondissements plus nombreux.
Le routeur se donnait : 24h/24 à la recherche d’infos, sur l’étendue du Pot-au-Noir, sur le comportement des anticyclones et dépressions qui courent si vite dans le grand sud et qui n’étaient pas encore bien connus, sur les icebergs mal repérés sans pouvoir toujours éviter que le skipper ne se retrouve dans un champ de mines. Toute situation était évaluée sous les aspects «probabilités que cela arrive et conséquences sur la course». Nous communiquions via Saint-Lys radio en un code que l’on avait imaginé pour que notre information, hautement stratégique, reste confidentielle. Je peux le dire maintenant, n’est-ce pas VDH, nous avions cru bon de parler en heure quand on voulait communiquer sur les coordonnées géographiques et en latitude longitude pour donner un repère chronologique. Il y avait aussi un langage très tarabiscoté pour parler direction et vitesse du vent, mer et visibilité. Si les autres ne pouvaient pas nous comprendre, nous rencontrions nous même, la fatigue aidant, quelques difficultés.
Le skipper gérait les risques en cherchant SON compromis entre sécurité et compétition. Quand on parlait précaution vis à vis des icebergs, VDH, qui mesurait sans arrêt la température de l’eau, répondait « je m’allonge les pieds vers l’avant pour amortir le choc s’il doit y en avoir un ». Heureusement pas de choc mais des échanges de paroles sur les ondes qui ne trompaient pas. VDH était alors aussi loin de nous que ne l’était, 20 ans plus tôt, Neil Armstrong sur la lune.
Aujourd’hui, communication internet « comme à la maison », télédétection depuis des satellites dédiés, radar haute performance embarqué, passages obligés au nord… l’iceberg ne doit plus venir troubler la compétition. Les skippers , très avertis pour comprendre les phénomènes météo, font tourner le logiciel d’optimisation de route pour choisir le cap et se positionner à 6 ou 7 jours, puis recalent en permanence… Tous font la même démarche et, de fait, se poursuivent sur la route prévue la plus efficace. Dans ces conditions, il y a peu de chances de retournements de situation liés aux options météo.
La course a heureusement énormément gagné en sécurité en ne perdant rien de sa sportivité…Mais ce ne sera plus l’aventure d’explorateurs tentant des coups plus ou moins tordus en flirtant avec les centres dépressionnaires...
Prendre la corde pour tourner au plus court autour de l’antarctique est maintenant interdit. Les routes sont plus sages et tellement plus prévisibles. Le suivi des positions que « le spectateur à terre» reçoit 6 fois par jour réserve moins de surprise. Pourtant la bataille sur l’eau n’en est que plus féroce. Les bateaux sont toujours aussi spartiates mais ils sont plus puissants, plus complexes. Et puisque rien n’est laissé au hasard il faut, pour apprécier la course, que les passionnés sachent lire entre les lignes, les lignes isobariques, et comprennent ces petits bords très subtils qui font gagner quelques poignées de milles à l’un ou à l’autre.
Ces poignées de milles qui, bout à bout, permettront de voir se distinguer le vainqueur.