Le côté anarchique de l’atmosphère
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Si la circulation atmosphérique se soumet à des règles bien établies que l’on cite à loisir, « dans l’hémisphère nord le vent tourne autour des dépressions dans le sens anti-horaire » ou « l’air froid plus dense se glisse sous l’air chaud », elle sait aussi se préserver des domaines de désordre. Le Pot-au-Noir en est le plus bel exemple. Le Pot au Noir est anarchique.
Le Pot au Noir est anarchique.
L’un des charmes de nos courses autour du monde vient du fait que les navigateurs vont traverser tous les climats, goûter à tous les systèmes météo. Après la sortie du régime perturbé de l’hémisphère nord, après la rapide glissade sur l’alizé de nord-est, le moment est venu de s’affronter à la zone des calmes équatoriaux.
Le changement de rythme pour les navigateurs est à la mesure du saisissant contraste entre la régularité de l’alizé et l’anarchique climat de la savamment appelée « zone intertropicale de convergence », zone de télescopage des alizés du nord et du sud qui se traduit par une accumulation de gros nuages noirs, avec ou sans vent, au déplacement bien lent.
On notera en passant, que les Anglais qui savent être plus pragmatiques que nous en nommant les alizés « trade-winds » puisque c’était pour les clippers une route commerciale sûre et efficace, parlent de doldrums pour notre Pot au Noir. To be in the dodrums, être dans le cafard. Tout un programme. Cette vaste zone de vents erratiques et insaisissables faisait douter les marins sur leur capacité à pouvoir s’en extraire.
Cette zone n’est plus dangereuse que pour le classement. Les bateaux ont de telles performances dans les touts petits vents, qu’ils ne resteront plus encalminés pendant d’interminables journées comme c’était le cas pour les grands voiliers du commerce avec toutes les conséquences que l’on imagine sur la vie à bord, sans vivres fraîches et sous des températures suffocantes. On peut imaginer que l’apport d’eau douce sous les fortes averses était encore plus apprécié à l’époque que de nos jours quand à défaut de la boire, les skippers l’utilisent pour un grand rinçage de l’homme et du matériel.
Pas de danger donc mais toujours une forte appréhension que les marins français aiment à partager en utilisant toujours cette drôle d’expression Pot au Noir.
On se perd en conjecture sur son origine : noir associé à ces gigantesques cumulonimbus qui se développent dans la zone, noir comme le bon vieux brai (goudron de houille) que les marins, profitant des périodes de calmes mais aussi de chaleur rendant le produit plus liquide, sortaient du pot pour traiter les bois, noir comme les pensées lors de l’épreuve que constituait la traversée de cette région imprévisible.
Pour ma part, j’aime bien la version plus ludique qui évoque une sorte de colin-maillard où celui qui avait les yeux bandés risquait de se cogner dans quelque chose. Les autres l’avertissait "gare au pot au noir" parce qu’en se cognant il risquait de se faire une bosse, un noir comme on disait au 17ème siècle, un bleu comme dirait un enfant d’aujourd’hui.
En tout cas c’est la version la plus adaptée au jeu de hasard et d’intuition auquel se prête les compétiteurs du Vendée Globe avant que la vitesse ne reprenne ses droits.