Tara, le voilier qui venait du froid

En mai prochain, le voilier Tara entamera une mission de six mois dans l’océan Arctique avec traversée des passages du nord-est et du nord-ouest. Mais en attendant, le voilier est à quai sous le pont parisien Alexandre III, bloqué par la crue de la Seine. Nous en profitons pour organiser une rencontre avec Daniel Cron, le capitaine d’escale.
Figaro Nautisme : Quelle a été votre première expérience sur ce voilier d’exploration ?
Avant de naviguer sur Tara, ma première approche du bateau s’est faite sur un chantier à Lorient, pendant quatre mois, juste avant l’exploration Tara-Océans. C’était si impressionnant que le stress m’a empêché de fermer l’œil pendant les premiers jours. Il faut dire que c’était mon premier chantier, j’étais encore étudiant à l’école de marine marchande du Havre. On m’avait dit « tu verras, c’est du bricolage » mais quand je suis arrivé, tout était démonté. Et il n’est pas facile de remonter un circuit que tu n’as jamais vu auparavant ! Toutefois, ce fut une belle chance pour connaître le bateau et pour commencer à créer des liens avec l’équipage. Nous étions moins de dix et nous vivions coupés du monde, occupés uniquement par le bateau. Finalement, nous avons réussi à terminer le chantier à temps pour le départ du 5 septembre 2009. On aurait dit un départ du Vendée Globe avec plusieurs milliers de spectateurs et toute une flotte de bateaux pour nous accompagner.
Vous souvenez-vous de votre premier quart à la passerelle de Tara ?
C’était juste après le canal de Suez, que je passais pour la première fois. Mon premier quart était de nuit, avec un gréement que je ne connaissais pas bien. J’ai couru partout sur le pont, le nez sur les jumelles pour surveiller le trafic maritime. J’ai un peu tâtonné mais c’est le meilleur moyen d’apprendre.
Quelles sont les sensations de navigation à bord de Tara ?
On surnomme ce voilier « la baleine » et ce n’est pas pour rien. En plus de sa robe grise, son poids et son volume le rapproche aussi de ce cétacé. Tara pèse quasiment 150 tonnes en expédition, tout est surdimensionné. Alors le bateau se traine un peu, c’est sûr ; il nous faut 15 nœuds pour hisser les voiles. Mais il dégage aussi un sentiment de puissance : lors d’une tempête, ce bateau très costaud continue à naviguer alors que d’autres jettent l’éponge. L’avantage c’est qu’il gite peu mais curieusement, certaines personnes ont eu le mal de mer à bord alors qu’elles n’avaient jamais connu cela avant ! Le roulis est particulièrement important l’arrêt, lors des stations océanographiques, lorsque nous sommes bord à bord avec une houle de travers.
Est-ce que les scientifiques vous aident lors des manœuvres ?
Tara c’est la réunion de nos deux univers, la science et la navigation, donc chacun est intéressé par ce que fait l’autre. On fait donc participer les scientifiques aux manœuvres mais aussi aux quarts. Ces systèmes de duos nous permettent de descendre faire des relevés en machine pendant un quart tandis qu’un scientifique surveille, les yeux vissés sur les jumelles.
Avez-vous progressé en sciences ?
Oui et si je suis sur Tara c’est parce que ce rôle scientifique m’intéresse. Lors des visites avec le public, je peux rentrer dans les détails dans plein de domaines et comme je communiquais avec les écoles pendant les navigations, j’ai posé beaucoup de questions aux scientifiques. Nous ne les aidons pas pour les prélèvements proprement dits, les actions scientifiques, mais nous les aidons à mettre à l’eau et à récupérer leur matériel. D’ailleurs, le maniement de la rosette, qui contient différents capteurs, m’a causé quelques sueurs froides. Elle coûte 400 000 euros dont si tu te loupes à la manutention, en cassant le câble par exemple, l’expédition se termine là. Nous avons déjà cassé un câble lors de Tara Océans mais au lieu de la rosette, c’était un filet que nous manœuvrions. Celui-ci étant assuré par un système de sécurité, nous l’avons récupéré.
Quelles sont les conséquences d’un contretemps comme la crue de la Seine sur votre planning ?
Ce n’est pas encore décidé mais il est probable qu’on soit obligé d’annuler certaines étapes. C’est un mal pour un bien car cela pourrait nous permettre de passer plus de temps à Lorient au chantier. Avant de partir en Arctique, nous devons mettre au point des systèmes pour isoler et réchauffer le bateau pour que le matériel ne souffre pas. On a fait un point ce lundi sur les différentes astuces à mettre au point et nous avons commencé la commande du matériel nécessaire. Il faut aussi penser à adapter l’électricité à la nouvelle installation, avec notamment de nouveaux outils scientifiques à embarquer. Il faut que tout soit prêt le 18 mai pour le départ.
LIRE AUSSI:
Une Solitaire du Figaro grand cru en 2013
Plongée - Apnées dans le Grand Sud
Tara, escale parisienne et diplomatique