Le pied marin, la main météo
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Pour être un utilisateur critique et objectif de la prévision météorologique, il faut savoir comment elle est élaborée, quels sont, chaque jour, ses points faibles et ses points forts. Le rôle du skipper n’est pas de faire sa propre prévision mais de comprendre celle qui est mise à sa disposition et d’estimer quelle confiance il peut lui accorder.
La chaîne de production qui mène au bulletin comprend 5 maillons, 5 étapes aussi liées que le sont les 5 doigts de la main.
Le pouce, le costaud, celui sur lequel on s’appuie. En météo c’est l’observation, l’analyse du temps actuel. Avant le pronostic il faut un diagnostic. Pour prévoir il faut partir d’un état initial. C’est le rôle de l’OMM (Organisation Mondiale de la Météorologie) de veiller au bon fonctionnement de la veille météorologique à travers les réseaux de mesures sur terre (stations et radars), sur mer (bouées), dans l’air (radio sondages, avions) et depuis l’espace (photos et télédétections des satellites).
Le majeur, représente le modèle numérique globale, c’est à dire la prévision des grands systèmes qui tournent tout autour de la terre. Ce calcul demande une puissance informatique extraordinaire parce que le nombre de données à traiter est gigantesque et les équations plutôt…. sophistiquées. Imaginez tous les paramètres météo caractérisant plusieurs dizaines de millions de petites boites virtuelles réparties dans toute la couche atmosphérique dans lesquelles on fait des calculs complexes pour simuler les interactions entre ces paramètres et entre ces petites boites. Imaginez que tous ces calculs donnent un nouvel état de l’atmosphère à un temps T plus quelques minutes, et qu’il faut repartir de ce nouvel état pour se projeter encore quelques minutes plus tard. Imaginez le nombre de petits pas qu’il faut ainsi faire pour arriver à une prévision de plusieurs jours. Ces modèles sont le maillon majeur de notre chaîne de production. S’ils se trompent sur la circulation générale, tout ce qui en découlera sera trompé.
L'annulaire, le doigt de la bague symbolisant la puissance d’une relation, figure notre modèle haute résolution étroitement lié au modèle global. Ce modèle HR, ne peut vivre que dans l’ombre du modèle global. Mais c’est lui qui apporte la richesse et la finesse d’une prévision locale, celle que l’on vit effectivement.
L’index montre. Notre maillon suivant désigne le temps sensible. C’est l’interprétation des sorties de modèles pour révéler l’évolution la plus probable grâce à l’expertise du météorologue qui analyse tous les résultats à sa disposition.
L'auriculaire enfin, le plus petit mais au rôle considérable. « Mon petit doigt l’a dit ». Le dernier maillon de notre chaîne de production est celui de la communication. Le prévisionniste peut élaborer la meilleure prévision du monde, si elle est mal communiquée c’est l’échec assuré.
Comme pour toute chaîne, chacun des maillons contribue à sa solidité et un seul maillon faible suffit à en réduire son efficacité. Estimer la fiabilité d’un bulletin météo c’est estimer la solidité de chacun de ces maillons puisque chacun peut être source d’erreur.
Alors, je vous propose de compter sur les cinq doigts de la main chaque fois que vous prendrez connaissance de la météo.
Pouce ! Avant de savoir où l’on va, sachons où l’on est. La situation générale en cours est-elle facile à connaître ? Est-ce que les centres d’actions (anticyclones, dépressions) sont sains ? bien identifiés ? pas trop nombreux ? Les cartes isobariques et les images satellites peuvent vous donner une idée de la complexité de la situation en cours.
Majeur ! Est-ce que les modèles globaux peuvent être à l’aise pour prévoir l’évolution de ces centres d’actions ? Ce sera le cas si la circulation atmosphérique est typique avec, par exemple un défilé de perturbation venant de l’ouest ou dans le cas d’une situation anticyclonique stationnaire. Ca le sera moins si on est en période de transition entre deux régimes, ou si les dépressions arrivent sur une trajectoire peu classique, venant du sud plutôt que de l’ouest.
Annulaire ! Le modèle Haute Résolution, chargé de calculer les effets locaux, peut-il faire son travail efficacement ? Etroitement dépendant de la situation prévue par le modèle global, il sait calculer avec précision les phénomènes de brise ou les effets dus aux reliefs. Il a plus de mal à annoncer exactement l’heure le lieu de l’éclatement d’un orage en mer.
Index ! Certaines situations sont plus faciles à interpréter que d’autres. Le météorologue sait évaluer la robustesse des centres d’action en fonction de leurs provenances, de leurs histoires parce qu’il les suit au quotidien et identifie les « francs du collier » ou les « faux jetons ». A vous aussi de suivre la situation jour après jour pour détecter si sa progression est limpide avec une prévision régulièrement reconduite ou si, au contraire, la prévision est chaotique, mal établie.
Auriculaire ! Le petit doigt ne peut pas se contenter de propager les rumeurs de pontons. Sa source doit être bien identifiée, évidemment digne de confiance. Il faut trouver dans le bulletin météo un ensemble cohérent et complet. Point de cachoteries. Il doit y avoir les cartes qui présentent le contexte, la quantification des différents paramètres validée par le prévisionniste, mais aussi ses explications, en particulier l’expression de la fiabilité associée à la situation… et cela aussi pour les prévisions du jour même qui, vous le savez, ne sont pas toujours à 100%.
Voilà, ces quelques lignes espèrent vous apporter un « coup de main » pour enrichir votre réflexion au moment où, chef de bord responsable, vous « prendrez la météo » comme on « prend le pouls » de l’atmosphère.
Avant le « Une main pour soi, une main pour le bateau», il faut en utiliser une pour la météo.