Derniers passagers de l’Arctique
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Les derniers bateaux se sont extirpés des glaces du passage du Nord-Ouest avant le retour de l’hiver. La goélette scientifique Tara a franchi le passage ce week-end avec l’assistance d’un brise-glace. Quelques heures plus tôt, c’est un cargo de 225 mètres qui ouvrait la voie.
L’équipage de Tara s’est avancé vers le passage avec appréhension, étudiant avec attention des cartes de glace pessimistes. Les observations satellitaires de la Nasa indiquaient que le passage du Nord-Ouest, entre les îles du Grand Nord canadien, était fermé. Mais la présence d’un brise-glace canadien a rassuré l’équipage de Tara qui a poursuivi sa route en direction du détroit de Bellot, un étroit corridor de 35 kilomètres, puis le détroit de Lancaster, la route de sortie du passage du Nord-Ouest vers le Groenland. Loïc Vallette, le capitaine du voilier, évoque un passage recouvert à 95 % de « jeune glace » de 15 centimètres d'épaisseur, nécessitant donc l’appui du brise-glace Canadian Coast Guard Louis Saint Laurent. "Sans l’aide des Canadiens, la goélette aurait mis beaucoup plus de temps, avec à la clef, une nuit à slalomer dans le noir, entre les plaques de banquise de jeunes et de vieilles glaces", explique l'équipe de Tara Océans. Et l'objectif premier de l'expédition n'est pas l'exploit du parcours sans assistance mais bien l'étude scientifique d'une région difficile d'accès. Les chercheurs ont donc aussitôt repris le travail sur une station scientifique de 48 heures dans le Lancaster Sound. Les prochaines escales de l’expédition sont prévues à Arctic Bay et Pond Inlet dans le Nunavut canadien les 4 et 6 octobre prochain. Puis ce sera Ilulissat au Groenland, Québec, Saint Pierre et Miquelon et enfin un retour à Lorient début décembre.
Une dégradation continue
La situation de la banquise est meilleure qu’en 2012 – année record de la fonte des glaces – mais beaucoup moins bonne que dans les années 80, lorsque le passage était impraticable. La Nasa assure ainsi que la surface mesurée mi-septembre est la sixième plus faible depuis le début des relevés annuels et elle reste inférieure de 1,12 million de km2 à la moyenne de 1981 à 2010. Walt Meier, glaciologue pour la Nasa, rappelle ainsi qu’il y a « toujours une reprise après des niveaux de fonte importants ». Des records de fonte des glaces n’ont jamais été enregistrés deux années consécutives. La tendance à long terme continue donc à montrer une diminution d'environ 12% par décennie depuis la fin des années 70, un déclin qui s'est accéléré après 2007, souligne le Centre national américain de la neige et de la glace. Le scientifique observe aussi que la plus grande partie de la glace reste fine et molle, un contraste criant avec la banquise épaisse du passé.
Une première de taille
Malgré les glaces tenaces de cet été, un cargo géant a franchi pour la première fois le passage du Nord-Ouest. La nouvelle route maritime n’avait été empruntée jusqu’alors que par des voiliers, des navires brise-glace et des cargos de petit tonnage. Or le Nordic Orion est cette fois-ci long de 225 mètres. Il est parti au début du mois de septembre du port canadien de Vancouver, avec sa cargaison de charbon à coke, et fait route vers la Finlande. Il est attendu le 7 octobre dans le port de Pori pour un trajet plus court de plus de 1.000 milles et moins cher en matière de carburant. Les économies de fuel sont estimées à près de 60.000 euros selon son armateur danois, Nordic Bulk Carriers. Autre intérêt pour l’industriel : le cargo a pu augmenter de 25% sa cargaison en passant par le passage du Nord-Ouest au lieu du canal de Panama. Mais l’Arctique ne se laisse pas dompter si facilement et les icebergs pourraient faire tourner ces navigations à la catastrophe écologique. "La navigation par le passage du Nord-Ouest est une stratégie à haut risque, mais à gros gain potentiel", analyse Knut Espen Solberg, spécialiste de la mer Arctique de la société norvégienne de services maritimes DNV. Construit en 2011 dans un chantier naval japonais, le Nordic Orion est doté d'une coque renforcée pour résister aux icebergs et aux growlers, ces glaces de petite taille que les radars détectent mal.