Navire stationnaire
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Quel paradoxe. Naviguer c’est voyager. Rendre un navire stationnaire c’est contre-nature. C’est pourtant très naturellement qu’avec les progrès de la transmission par radio après la Grande Guerre, l’idée de navires consacrés à l’observation météo se concrétisa.
Après la première traversée de l’Atlantique Nord en avion, réalisée en mai 1919 par l’américain Cushing Read en 23 jours, et celle 8 ans plus tard de Lindsberg sur son Spirit of Saint-Louis (en solitaire et sans escale… beaucoup plus populaire !) le trafic aérien s’intensifia rapidement au-dessus de cet océan. La traditionnelle solidarité des marins s’élargit aux aviateurs et l’obtention d’observations météorologiques en surface et en altitude devint une nécessité pour améliorer la prévention météorologique.
De passage à La Rochelle, je n’ai pas pu m’empêcher de cultiver mon goût de la nostalgie en allant rendre visite au France 1. Cette belle frégate de 76m de long, née la même année que moi, était déjà aux deux tiers de sa carrière quand je n’étais qu’à l’école de la météo nationale. Il m’était alors proposé de participer à des missions à bord… mais je n’ai pas eu le courage. 2 à 3 jours de mer pour rejoindre le point Roméo pour, après avoir relevé la frégate sœur France 2, tourner en rond dans un carré de 10 Milles de côté pendant 26 jours, puis encore 2,5 jours pour le retour…Bof… Bof. La vie à bord était rythmée par les relevés (vent, pression, température, humidité, nuages, précipitations) effectués toutes les heures et les radiosondages toutes les six heures (plus rares parce que très chers) pour choper les paramètres mesurables en altitude. Aussitôt codifiés, il fallait transmettre ces messages par radio. Il ne manquait pas de temps pour les loisirs, lecture ou jeu de palets sur le pont, mais tout cela dans une ambiance très hiérarchisée comme il était de rigueur à l’époque et en mer.
C’est donc dans l’ambiance du Musée Maritime de La Rochelle que je déambule à bord d’un bateau désert. Sur 5 ponts, la visite se poursuit depuis la salle des machines jusqu’à la passerelle à travers les cabines, cuisines, carrés des officiers ou des techniciens. Tout est présenté dans le jus et me laisse espérer la rencontre du Capitaine Haddock. Mais son Karaboudjan était un cargo alors que le France 1 est une frégate dont la carène a été dessinée pour être le plus à l’aise possible sur les fortes houles de l’Atlantique. Ce navire a presque l’air d’un paquebot de croisière avec enfilades de hublots, bois vernis, laitons lustrés et pont en teck.
Une fois amariné, on devait s’y sentir bien. La croisière n’a pu s’amuser (travailler) qu’un temps. Depuis la mise en orbite par les américains du premier satellite météo le 1er avril 1960, l’art de l’observation et de la transmission a vite progressé. Des scanners permettent une télédétection plus élaborée que la simple image photographique et les Européens lancent leur premier METEOSAT en 1977. Si les premiers étaient des satellites à défilement, celui-ci, à 36 000 km au-dessus de notre tête, est synchrone avec la rotation de la terre. Il nous montre toujours la même face de notre globe. On dit qu’il est géostationnaire.
Stationnaire… on y retourne. Mais, le voyage ce sont les nuages qui le font, sous le regard attentif du satellite. Et c’est bien la vocation de l’observateur… voir la météo circuler.