
Dimanche soir, les trois premiers concurrents ont passé la première porte des glaces en trente minutes : un mouchoir de poche. Les voici maintenant dans les mers du Sud avec l’Océan Indien.
Avec le survol des premiers albatros et le passage du Cap de Bonne Espérance, la tête de flotte est entrée dans le pays de l’ombre. « Les concurrents sont partagés entre la compétition intense et une entrée personnelle, intime, dans un monde nouveau », analyse Roland Jourdain. Dans l’Océan Indien, le ciel est bas et sombre, l’atmosphère humide et le silence disparaît, remplacé par le vacarme du vent sur les coques en carbone. « Ça fait tambour, raconte Roland Jourdain. Ce sont des bruits très fatigants mais aussi indispensables pour ressentir son bateau. Quand on remonte au vent, on entend des basses et quand on file à des vitesses élevées, ce sont plus des chuintements, des sons aigus. » Le froid enveloppe les skippers, « sans parler d’anesthésie, on se met à réfléchir différemment ». A force de vent égale, les manœuvres dans l’océan indien sont trois fois plus difficiles que les manœuvres dans les alizés. Et chaque bobo du bateau – « ce qui arrive souvent tout au long de la course » - devient une préoccupation majeure. « Au fur et à mesure de l’entrée dans les mers du sud, on réalise que son plus féroce concurrent c’est soi-même, assure Roland Jourdain. Les autres sont toujours présents mais ce n’est plus comme lors des régates du premier quart de course. »
Persévérance
Quand on demande au skipper les moments qui l’ont le plus effrayé dans l’Océan Indien, il se souvient des sorties de route « celles qu’on ne raconte pas à la postérité », mais très rapidement, ces souvenirs de détresse sont remplacées par de belles images. Lors de son premier Vendée Globe, les conditions météo l’ont obligé à rester au nord, sur le parcours que les skippers seront obligés de suivre cette année en raison des portes de glace. Il garde un souvenir ému des îles Crozet « d’abord parce que c’étaient les premières terres que je voyais depuis longtemps, et ensuite parce que les récits de mer avaient nourri mon imaginaire sur ces îles mythiques. » C’était une fin d’après-midi calme, sur les côtes de l’île aux cochons. « J’ai observé une sorte de cours de vol des plus vieux aux plus jeunes. Comme il n’y avait pas beaucoup de vent, les petits se rétamaient alors les plus vieux venaient les remotiver : allez ! » La motivation, c’est justement ce qu’il sera très important de préserver. « Les mers du sud c’est comme un papier à poncer qui use, explique le skipper. Et pour réussir cette partie du parcours, il faut absolument garder le mental jusqu’au Cap Horn. »