
Là où la plupart des requins préfèrent les mers tropicales, ce colosse s’épanouit dans les eaux glacées de l’Atlantique Nord, du Groenland jusqu’aux fjords islandais. On le retrouve à des profondeurs vertigineuses, jusqu’à 2200 mètres, évoluant dans une obscurité permanente entre -1 et -10°C. Son secret ? Une chair saturée d’urée et d’oxyde de triméthylamine, véritables antigels naturels qui le protègent du froid mais rendent sa consommation toxique pour l’être humain.
Un prédateur qui avance au ralenti
Surnommé le « dormeur de l’Atlantique », le requin du Groenland nage avec une lenteur extrême, à peine quelques dizaines de centimètres par seconde. Pourtant, ce rythme ralenti est une arme redoutable : sa discrétion lui permet d’approcher ses proies sans éveiller de soupçons. Son menu est varié : poissons, phoques, carcasses de cétacés, mais aussi, occasionnellement, des proies inattendues comme des rennes tombés dans l’eau. Aucune attaque sur l’homme n’a jamais été documentée, même si sa taille imposante, jusqu’à 5 mètres, inspire le respect.
Autre étrangeté : la plupart de ces requins sont presque aveugles. Leur cécité est due à de minuscules crustacés parasites, des copépodes, qui colonisent leurs yeux. Ces derniers seraient bioluminescents, attirant ainsi de petites proies pour le requin, qui accepte ce handicap en échange de l’aide apportée pour se nourrir. Une cohabitation qui illustre à merveille les alliances improbables du monde sous-marin.
Des vies qui traversent les siècles
Ce qui fascine le plus reste son incroyable longévité. Une étude menée en 2016 grâce à des analyses au carbone 14 a révélé que certains individus dépassaient les 390 ans. En moyenne, ces requins vivraient plus de 270 ans, atteignant la maturité sexuelle seulement à partir de... 150 ans. Une stratégie évolutive qui les rend très vulnérables : avec une croissance lente et une reproduction tardive, chaque perte est difficile à compenser.
Une espèce menacée à protéger
Historiquement, les requins du Groenland ont été chassés pour leur huile de foie et parfois pour leur chair, rendue comestible après un long séchage. Leur pêche commerciale est interdite depuis les années 1960, mais les captures accidentelles restent fréquentes, mettant en danger des populations déjà fragiles. Aujourd’hui, ils sont classés comme espèce quasi menacée par l’UICN, et les chercheurs plaident pour une meilleure protection.
Entre lenteur, cécité, records de longévité et adaptation aux eaux polaires, le requin du Groenland défie toutes les règles du vivant. Fantôme discret des abysses arctiques, il incarne à lui seul la fragilité des grands équilibres marins. En l’observant, les scientifiques espèrent aussi mieux comprendre les secrets de la longévité, et rappeler que même les plus anciens habitants des océans ont aujourd’hui besoin de protection.