
Figaro Nautisme : Comment un journaliste se retrouve-t-il marin professionnel ?
Fabrice Amedeo : « J'ai découvert la voile à l'âge de trois ans en famille sur un First 22. J'ai ensuite toujours fait de la voile et grandi avec un amour fort de l'océan : croisières en famille chaque été, découverte des régates à l'adolescence, les premières courses au large jeune adulte, puis les premières transats en course en devenant parallèlement journaliste au Figaro. Durant toute cette période de ma vie, j'ai réalisé des études, j'ai démarré une carrière assez classique mais un ailleurs m'appelait. Ce n'est qu'en 2015, quand j'ai décidé de me lancer dans l'aventure du Vendée Globe, que j'ai décidé de m'investir à 100 % dans ma passion et d'en vivre. »
Figaro Nautisme : Vous êtes très engagé pour la préservation des océans, naviguer ne vous suffisait donc pas ?
Fabrice Amedeo : « C'est exactement cela. À l'arrivée de mon premier Vendée Globe, j'ai décidé de repartir pour un deuxième tour du monde mais j'avais besoin de donner du sens à mon métier de marin et à mon parcours sur les océans. La préservation des océans était un engagement assez évident pour moi qui suis si passionné par ces grands espaces et aime tant les parcourir. Je ne suis d'ailleurs pas une exception : beaucoup de marins sont engagés. Je me suis alors renseigné et j'ai entendu parler de cette opportunité de naviguer pour la science, notamment grâce à des échanges avec le skipper allemand Boris Hermann qui a été assez précurseur. J'ai donc équipé mon bateau de ces capteurs et je suis devenu un « navire d'opportunité » pour la communauté scientifique. Je ne suis pas un bateau scientifique ou un bateau d'expédition, je suis un bateau de course qui va là où les navires scientifiques vont peu ou pas et je réalise des mesures qui nourrissent les travaux et les recherches de toute une équipe de scientifiques très investie. C'est absolument passionnant et finalement assez cohérent avec mon parcours d'ancien journaliste : je vis ma passion et mes rêves, je me dépasse sur l'eau, tout en allant chercher de l'info là où peu de personnes ont la chance d'aller. »
Figaro Nautisme : Les campagnes de mesures confirment-elles ce que vous observez en tant que marin : nos océans sont de plus en plus fragiles et nos écosystèmes de plus en plus menacés ?
Fabrice Amedeo : « Nos campagnes de mesures montrent que nos océans sont de plus en plus menacés : par les microplastiques qui y sont omniprésents mais aussi par les fibres de cellulose, autrement dit par les fibres textiles issues de nos machines à laver donc de notre vie de tous les jours. Au large, même si la majeure pollution est invisible car présente sous forme de microparticules, nous voyons de plus en plus de choses. J'ai un souvenir assez fort sur le dernier Vendée Globe dans l'anticyclone de Sainte-Hélène, pile au milieu de l'Atlantique sud à mi-chemin entre l'Argentine et le continent africain. Le vent était faible, la mer plate et j'ai pu voir des bouteilles plastiques flotter à la surface de l'océan. Elles avaient fait un voyage de plus de 2 000 kilomètres et allaient peu à peu être dégradées et ingérées par l'océan pour devenir du micro-plastique. Cette triste rencontre est finalement au coeur de mon engagement : mesurer cette pollution des océans qui provient de la terre pour une grande majorité et, de retour du large, prendre la parole et sensibiliser les enfants des écoles à travers un ambitieux programme pédagogique que nous avons développé avec la Fondation de la Mer. »

Figaro Nautisme : Cet engagement ne vous empêche pas de nourrir des ambitions sportives avec notamment la Route du Rhum en fin d?année ?
Fabrice Amedeo : « Exactement, j'ai remis mon bateau à l'eau en avril à l'issue d'un important chantier d'implantation de nouveaux foils. L'ambition est d'avoir un bateau plus rapide et qui vole plus haut. Nous vivons une époque formidable où, malgré le contexte international et économique difficile après deux années de Covid et maintenant la guerre en Ukraine, notre sport a le vent en poupe et attire de plus en plus de partenaires et d'entreprises qui cherchent à donner du sens à leur métier, à leurs engagements, à leur sponsoring. Beaucoup de bateaux sont en construction et beaucoup de marins ont d'importants moyens. Pour rester dans la course, il fallait en passer par ce chantier qui va me permettre de faire une belle Route du Rhum en fin d'année et d'ambitionner d'être dans le coup lors du prochain Vendée Globe en 2024. Et puis imaginez un bateau de 9 tonnes et de 18 mètres de long dont toute la moitié avant vole un mètre au-dessus de l'eau : il n'y a pas de mots, c'est magique. Je suis un grand privilégié. »
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