
L’environnement, un ennemi omniprésent
La mer, avec ses vagues déchaînées et ses vents impétueux, constitue un terrain de jeu particulièrement dangereux pour les skippers. Lorsqu'un bateau gîte sous la pression des vagues et que le rythme de la course s'intensifie, le moindre faux mouvement peut entraîner une chute violente. Les blessures dues aux chocs sont fréquentes : fractures, traumatismes crâniens, contusions diverses... Ces accidents ne sont pas à prendre à la légère. En effet, la navigation en solitaire exige que les skippers soient continuellement attentifs et que leur condition physique soit irréprochable, car la moindre négligence peut entraîner des conséquences graves.Souvenons-nous, lors des phases de départ de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe 2022, de Sam Goodchild, victime d'une blessure au visage et aux bras, un problème technique ayant entraîné un retour de manivelle et Sam a été heurté brutalement par les poignées de la colonne de winch.

Des témoignages qui illustrent la résilience des skippers
Certaines histoires de blessures en mer sont devenues légendaires, illustrant la force mentale et physique des skippers. Bertrand de Broc, par exemple, est un marin au parcours remarquable. Lors de l'édition 1992-1993 de la Vendée Globe, il a été victime d'une blessure au visage et s'est coupé une partie de la langue. Incapable de se rendre à l’hôpital, il a dû se recoudre lui-même, guidé à distance par le médecin Jean-Yves Chauve. Cet exploit lui a valu le surnom de "Rambo", un titre qui témoigne de sa ténacité.
Sébastien Simon, quant à lui, a raconté son expérience lors du Retour à la base : « À un moment, j'ai retiré mon casque pour aller dormir, et puis black-out. Aucun souvenir de ce qui a pu se passer. J'ai repris conscience avec le visage en sang. En prenant mon téléphone, je me suis rendu compte que j'avais déjà envoyé une photo de ma tête blessée à ma team manager, sans que je m'en souvienne. Je me suis retrouvé devant ma pharmacie, et face à un miroir. J'ai testé mon agrafeuse sur le bras pour vérifier si elle fonctionnait. Puis mécaniquement, je me suis agrafé la plaie sans trop réfléchir. J'en ai rebouché la moitié, mais l'autre était trop large pour fixer les agrafes. »
Un autre exemple frappant est celui d'Alberto Riva, skipper de l'Acrobatica, qui s'est blessé lors de la Transat Jacques Vabre. Le 30 octobre 2023, vers 5 heures du matin, alors qu'il se trouvait à l'avant pour remettre en place la drisse du J1, une vague plus violente l'a projeté au-dessus du pont. « Je me suis fait mal en retombant de tout mon poids sur les genoux. Malheureusement, notre Transat Jacques Vabre se termine ainsi », a-t-il déclaré. Le diagnostic médical a été sans appel : tibia fracturé. Un autre incident qui illustre à quel point les conditions en mer soumettent non seulement les skippers à des blessures soudaines et graves, mais aussi à une lutte quotidienne contre l’épuisement physique et mental.
Le corps mis à l'épreuve : fatigue extrême et épreuves de résistance
Au-delà des blessures physiques dues aux chocs, la fatigue est un autre adversaire redoutable. Lors de longues courses comme le Vendée Globe, les skippers subissent des périodes prolongées de sommeil réduit, d'efforts intenses et de stress constant, qui peuvent entraîner de l'épuisement et des hallucinations. Clarisse Crémer a raconté lors de l’édition 2020 s’être ébouillantée en renversant son thé : « Je me suis ébouillantée en renversant mon thé sur mon entrejambe... c'était vraiment douloureux, et j’en bave encore pas mal ! » Elle a ajouté avec humour : « Ce n’est pas très joli à voir, mais je ne vais pas vous faire un dessin ! » Rapidement, elle a pris contact avec les médecins de la course, qui lui ont prescrit pommades et antidouleurs.
L’environnement sonore, en particulier sur les nouveaux IMOCA à foils, ajoute encore à la difficulté. Le sifflement constant des foils peut rendre la navigation épuisante, nécessitant l'utilisation de casques anti-bruit pour protéger l’ouïe des skippers.
Le Vendée Globe 2024-2025, actuellement en cours, met en lumière une fois de plus la réalité éprouvante à laquelle ces marins d’exception sont confrontés. Maxime Sorel a récemment dû abandonner après s’être fracturé la cheville, tandis que Romain Attanasio a été blessé à l’arcade suite à un choc violent. Ces événements soulignent qu’en dépit des avancées en matière de préparation et de sécurité, l’océan demeure imprévisible et impitoyable.
La question de la sécurité : comment prévenir les blessures les plus gravesPour limiter les risques de traumatismes crâniens, les skippers adoptent des mesures de prévention strictes, comme le port de casques adaptés. Ces protections, parfois semblables à ceux utilisés dans le rugby, sont indispensables lorsque le bateau est fortement incliné ou lors d’opérations complexes comme monter au mât. Ces équipements, semblables à des EPI (Équipements de Protection Individuelle), sont devenus une norme incontournable pour faire face aux aléas de la navigation en solitaire.En haute mer, le skipper doit affronter seul les imprévus. Lors d'une course comme le Vendée Globe, toute assistance physique est strictement interdite. Cependant, les contacts à distance via téléphone, Skype ou e-mail restent possibles pour solliciter des conseils en cas de problème. Les skippers doivent donc être prêts à gérer eux-mêmes toute situation, y compris les urgences médicales. Samantha Davies illustre bien cette réalité : « Je dois m’attacher pour dormir afin d’éviter de me retrouver projetée dans le cockpit. »

Depuis 2012, les navigateurs doivent obligatoirement suivre une Formation Médicale Hauturière avant de participer à ces courses, notamment les courses en solitaire. Ce programme intensif vise à les rendre autonomes face à une éventuelle urgence médicale. Les skippers y apprennent à décrire des symptômes précis, administrer une automédication, réaliser un pansement compressif, traiter une brûlure ou une fracture, poser un pansement dentaire temporaire, ou encore effectuer des sutures si nécessaire. Grâce à cette préparation, ils développent une compétence médicale essentielle pour gérer seuls des situations extrêmes, loin de toute aide extérieure.Une santé surveillée de prèsAujourd’hui, la course au large a évolué vers une approche globale de la performance. Les préparateurs physiques et médicaux des skippers prennent en compte non seulement les aspects techniques, mais aussi les aspects physiologiques et psychologiques. Des innovations médicales et des technologies de pointe permettent une surveillance plus précise de la santé des marins, avec des protocoles de prévention et de gestion des blessures toujours plus performants.

La résilience, la capacité à gérer la douleur et l'isolement, ainsi que l’ingéniosité des skippers sont des aspects incontournables pour traverser les océans et affronter des conditions extrêmes. Derrière chaque course, derrière chaque blessure, se cache l'histoire de marins qui défient la mer, luttent contre la douleur et repoussent leurs limites, pour l'amour de la mer et la passion de la course.Ces exemples, de Bertrand de Broc à Clarisse Crémer, nous rappellent que dans le monde des courses au large, chaque victoire, chaque parcours est marqué par la lutte contre les éléments, mais aussi par une volonté de fer qui fait la grandeur des skippers.Retrouvez chaque jour notre analyse météo de la course avec METEO CONSULT Marine dans notre dossier spécial Vendée Globe et suivez les skippers en direct grâce à la cartographie.