Route du Rhum 2018 – Une tempête pour l'histoire

Dans la catégorie reine, des trimarans géants, ils ne sont que six au départ. Et la forte dépression qui balaie la flotte dès la deuxième nuit fait d’énormes dégâts. Gitana 17 de Sébastien Josse et Sodebo de Thomas Coville se retrouvent à La Corogne. Le premier devra abandonner, le second repartira avec un retard irrattrapable et terminera finalement troisième, un podium récompensant sa pugnacité légendaire. Mais le pire est pour Banque Populaire, le trimaran d’Armel Le Cléac’h chavirant à la suite de la rupture de son flotteur bâbord. Remorqué vers Vigo, il arrivera totalement détruit, irrécupérable. C’est un immense coup dur pour l’armateur, le skipper et cette classe en devenir. Devant, deux skippers ont réussi à s’échapper le jeune (34 ans) François Gabart sur son Macif de 2015, menant la majorité du parcours. Mais l’expérimenté (62 ans) Francis Joyon, à bord du trimaran Idec vainqueur des deux précédentes éditions (sous les couleurs de Groupama puis Banque Populaire) s’accroche et sait l’arrivée autour de la Guadeloupe souvent piégeuse. Alors qu’il ne reste que 500 milles à parcourir, il accuse pourtant un retard de 90 milles sur son concurrent, soit 18% ! Mais le trimaran de François Gabart a subi moult avaries, et le vent s’effondrant, cette transatlantique de 3 510 milles se termine en véritable match racing. L’écart à l’arrivée ? Sept minutes et 8 secondes, après 7 jours et 14 heures de course, nouveau record de l’épreuve ! Chapeau bas messieurs.
À mi-chemin entre deux Vendée Globe, cette Route du Rhum revêt forcément un caractère particulier pour les 20 skippers engagés. Belle occasion de briller pour décrocher un budget en vue de la prochaine édition, ultime course clôturant le cycle de la précédente, galop d’essai sur un nouveau destrier, les raisons de partir le couteau entre les dents sont aussi nombreuses qu’il y a de concurrents sur la ligne et bien difficile de jouer au jeu des pronostics le 4 novembre au départ de St Malo. Comme pour toute la flotte, le 6 novembre est un mardi noir pour les monocoques de 60 pieds. Les 5 abandons s’égrèneront au fil des jours qui suivent mais touchent cinq prétendants au podium, de Jeremy Beyou sur son sémillant Charal tout neuf, à Isabelle Joschke qui voit son mât se briser le 10 novembre, en passant par un certain Yannick Bestaven. C’est donc le Britannique Alex Thomson qui fait la course en tête et rien ne semble pouvoir cette fois l’arrêter avec plus de 200 miles d’avance à la veille d’arriver à Pointe à Pitre. Mais l’anglais est épuisé et s’effondre au mauvais moment. Il vient toucher les rochers en atterrissant sur le nord de la Guadeloupe et il doit démarrer son moteur pour sauver son bateau. Le règlement en ces circonstances est clair et impitoyable mais il l’accepte avec un fairplay qui l’honore : 24 heures de pénalité. C’est beaucoup plus qu’il n’en faut à Paul Meilhat sur SMA et Yann Elies (Ucar-St Michel) pour s’intercaler et rafler les deux premières places. Ces deux-là ne seront pas au départ du Vendée Globe 2020, la voile est parfois un sport triplement injuste.
Lui aussi rêve de Vendée Globe, mais c’est sur trois coques qu’il s’illustre sur cette Route du Rhum 2018. Si Armel Tripon sur Reauté Chocolat s’impose dans cette classe Multi50 de cadors, devant Erwan Le Roux et Thibault Vauchel-Camus, il termine de surcroit troisième en temps réel derrière les deux premiers Ultims. Avec son option Sud le long du Portugal, il a réussi à préserver son trimaran sans s’arrêter dans la dépression qui a généré des vents à plus de 60 nœuds sur les six partants. Avec cinq bateaux à l’arrivée, les Multi50 prouvent leur fiabilité et leur performance, leur avenir est prometteur et cela valait bien un nouveau nom, ce sera Ocean Fifty. Les monocoques de 40 pieds, le problème est inverse, et les négociations avec les organisateurs concernent plutôt la gestion du surnombre. Avec 52 bateaux présents dans le bassin Vauban, la bataille s’annonce dantesque sur l’Atlantique. Si la tempête envoie quelques favoris au tapis (Mabire, Goodchild, Troussel, Sorel…) suffisamment s’en sortent (34) pour offrir une course passionnante. Au final c’est le Figariste émérite Yoann Richomme (vainqueur en 2016 de la solitaire du Figaro il récidivera en 2019), qui l’emporte devant Aymeric Chappellier et l’anglais Phil Sharp. Il a pris la tête dès le premier jour est resté sur une route médiane entre tenants de l’orthodromie au Nord et Sudistes invétérés, tout en préservant son bateau lorsque la tempête faisait rage, du très beau travail de pro.
En monocoques ou en multicoques, ce sont les deux classes abordables par tout marin motivé et expérimenté, dans laquelle il se frottera à des professionnels revenant aux sources de la voile. Sur les pontons de St Malo, on croise ainsi Loïck Peyron vainqueur en Ultim il y a quatre ans, et cette fois à la barre de son petit trimaran jaune Happy. Mais d’autres visages connus Bertrand de Broc, Charlie Capelle, Eric Bellion ou Sébastien Destremau ne sont pas venus pour faire de la figuration. D’ailleurs, sur une coque, c’est l’expérimenté Sydney Gavignet qui arrive le premier à Pointe à Pitre sur son Café Joyeux. Un jubilé en forme d’apothéose pour celui qui à 50 ans, a sagement décidé de raccrocher le ciré, après trente années d’une superbe carrière sur toutes les mers du globe. Du côté des multicoques, l’histoire n’est pas moins belle pour Pierre Antoine, l’homme aux deux prénoms qui s’offre une deuxième victoire sur trois coques à bord de son trimaran Olmix. Arrivé avec plus de deux jours d’avance sur le second (Jean-François Lilti) et quatre sur le troisième (Etienne Hochede) il a dominé un classe certes hétéroclite, mais ou la passion l’emporte.