CIC Normandy Channel Race 2022 : un avant-goût de Rhum

Ils n’étaient « que » trente au départ de Caen le 15 mai dernier, mais la flotte avait déjà fière allure dans le bassin St Pierre. Ce village en plein centre-ville pour el départ puis l’arrivée, c’est l’un des charmes de cette course devenue une classique 12 ans après sa création en 2010. Mais les 1000 milles nautiques du parcours entre Manche et Mer d’Irlande font vite oublier aux concurrents la douceur de leur refuge citadin. Disputée en double, dans une zone de forts courants la course est plus qu’exigeante, elle peut être violente. Prendre le départ à Ouistreham, longer les plages du débarquement, couper le rail des cargos pour aller contourner l’île de Wight, glisser vers la pointe Sud-Ouest de l’Angleterre jusqu’à Wolf Rock, traverser la Mer Celtique jusqu’au phare de Tuskar Rock au large du port irlandais de Rosslare, viser la Bretagne plein Sud pour rejoindre la marque de Portsall, traverser les îles anglo-normandes, affronter le ras Blanchard puis celui de Barfleur, avant de pouvoir de nouveau entrer dans les écluses et aspirer au repos, voilà qui, même au printemps peut relever du véritable du parcours du combattant.
A 30 nœuds vers l’Irlande
Tous les cadors de la classe étaient donc au rendez-vous, habitués du circuit (Ian Lipinski, Antoine Carpentier, Emmanuel Le Roch, Jean Galfione, Aurélien Ducroz…), issus des promotions Figaro (Xavier Macaire, Alexis Loison, Corentin Douguet…) de la Mini transat (Ambrogio Beccaria, Amélie Grassi…), ou stars de l’Imoca revenus goûter aux joies du bateau simple mais ultra-performant (Vincent Riou, Mike Golding). Sur la ligne de départ, les locaux Pierre Casenave-Péré et Fabien Delahaye (Legallais) sont les plus prompts, mais derrière eux, le mano à mano entre Crédit Mutuel et Quéguiner-Innoveo s’annonce comme la météo : orageux ! Le duo Douguet – Richomme est le premier à l’île de Wight après une transmanche plus rapide que prévue, certains étant même flashés à 17 nœuds. Pourtant long des côtes anglaises, les favoris voient les surprenants Matthieu Perraut et Kevin Bloch (Inter Invest) leur ravir le leadership. Derrière, la flotte s’applique pour ne pas décrocher, surtout que la traversée de la mer d’Irlande sera aussi rapide que prévu. Avec un vent orienté Sud, les luges glissent au portant, dépassant parfois les 30 nœuds, des vitesses inimaginables il y seulement quelques années sur des monocoques de 40 pieds.
Nouveau départ au Ras Blanchard
Mais les architectes n’ont pas hésité à innover et les skippers à les suivre. Sam Manuard signe ainsi exactement un tiers de la flotte avec dix de ses plans sur la ligne de départ. Si les larges étraves dites « scow » lui sont, depuis l’Imoca d’Armel Tripon « L’Occitane », souvent associées, David Raison en a sans doute été le pionnier, suivi par Marc Lombard, tous deux sigannt cinq bateaux de la flotte, le dernier tiers se partageant entre plans VPLP, Owen Clarke et Guillaume Verdier. Mais passé Tuskar Rock, ce sont 25 nœuds au près, avec une mer « démontée » dixit Aurélien Ducroz, qui attendent les skippers devant rejoindre la Bretagne via Land’s End. Premiers au phare irlandais, Corentin Douguet et Yoann Richomme font parler leur expérience de la Solitaire du Figaro pour gérer au mieux cette descente rendue pluvieuse par la présence d’un front occlus avec de fortes variations de vent. Les dix premiers se tiennent en 20 milles après deux jours de course, rien n’est donc encore joué. Pourtant, à Wolf Rock, les leaders comptent 10 milles d’avance sur le second, Crédit Mutuel, ce qui pourrait paraître confortable. Mais nous sommes en Manche et s’il arrive que le vent tombe comme c’est le cas lors du troisième jour de course à l’approche de la Bretagne Nord, le courant des marées lui ne faiblit jamais. A Portsall leur avance a été divisée par deux. Pire, au niveau des îles Anglo-Normandes, tout est à refaire, les quatre premiers se tenant en 1.5 milles ! Outre Quéguiner-Innoveo et Crédit Mutuel, Inter Invest est bien revenu, rejoint par Project Rescue Ocean. Les quatre s’attaquent donc simultanément au Ras Blanchard et ses fameux courants jusqu’à 6 nœuds, dans une brise de Sud-Ouest à peine plus puissante de 6-8 nœuds. Alors les skippers vont frôler les cailloux, passent là où on ne va jamais, virent « à la carto » comme on dit en Figaro, c’est-à-dire quand il n’y a plus que 10 centimètres d’eau sous la quille…théoriquement.
Neuf petites minutes
La dernière nuit, qui les voit contourner toute la presqu’île du Cotentin, est dantesque, digne des plus grandes batailles navales qui, entre français et anglais historiquement, puis lors de la seconde guerre mondiale, ont marqué les lieux. Il n’y aura pas besoin de photo finish pour déclarer vainqueurs le duo franco-italien Lipinski-Beccaria (Crédit Mutuel) même si après 4.5 jours de course, neuf petites minutes seulement les séparent des seconds. Corentin Douguet et Yoann Richomme (Quéguiner-Innoveo) pourraient être déçus de cet accessit puisqu’ils ont souvent mené les débats, mais ils ont, en grands marins, professionnels et expérimentés, su faire preuve du plus grand fair-play à l’arrivée. Sachant que Yoann Richomme disputera la Route du Rhum sur un sistership du bateau de Corentin Douguet, la lutte entre St Malo et Pointe à Pitre pourrait tourner au duel fratricide. Troisième, Inter Invest a engrangé beaucoup de confiance à moins de six mois de la grande transat automnale. C’est plus globalement le cas des dix premiers, qui sont arrivés très groupés, mais aussi d’Amélie Grassi seulement 19ème sur 22 classées. Mais après avoir compté 160 milles de retard à la suite d'une escale technique, terminer à seulement 9 heures du dixième est une vraie, belle, performance.