Transat Café L'Or : ULTIM, un dénouement en quatre actes
Acte 1 - Laperche-Cammas, un instant en Or
Ils sont arrivés dans la nuit et se sont invités au cœur de la soirée des Martiniquais. L’étrave de SVR-Lazartigue est apparue sous les projecteurs, puis Tom Laperche, short bleu clair, polo blanc, et l’impression de sortir d’une colo de vacances. Franck Cammas sort à son tour du cockpit et on devine leurs silhouettes qui se rapprochent des flotteurs avant d’allumer des fumigènes. Ils ont réussi une course de géant, une maîtrise totale et une domination sans partage, malgré la ténacité de leurs adversaires.
Les sourires des deux marins ne traduisent pas seulement leur satisfaction, ils sont surtout le signe d’un grand soulagement. Il y a une pression certaine à être leader, à être toujours dans la position de chassé et jamais de chasseur. « Quand on est devant, on a envie que ça se finisse vite », explique Franck Cammas un peu plus tard. Tom, lui, parle d’une « soupape qui lâche » dès la ligne franchie. Il révèle aussi que leur grand gennaker a été abîmé lors des dernières heures de course, ultime frayeur avant l’explosion de joie. Tout est vite oublié, l’équipe est montée à bord rapidement et l’esprit de fête se prolonge dans les zodiacs dévolus à SVR-Lazartigue.
Sur le ponton d’honneur, c’est l’affluence des grands jours. La structure penche fortement, on se presse pour observer les deux hommes. Nouveaux fumigènes, salves d’applaudissements, trophée remis des mains de la marraine de la course, Claudie Haigneré. La copine de Tom Laperche se cache derrière le haut du foil, les caméras se braquent sur les vainqueurs. Ils se laissent porter par le moment, ils ont les yeux qui brillent. Face à une forêt de micros, ils évoquent une course « hyper intense et hyper physique » (Tom), « une tension permanente » (Franck). Les yeux brillent encore. Peut-être disent-ils un peu du vertige du moment : Tom qui réalise progressivement qu’il vient d’offrir à SVR-Lazartigue sa plus belle victoire depuis son arrivée dans l’équipe il y a six ans ; Franck qui se rend compte qu’il est l’unique recordman de victoire à la TRANSAT CAFÉ L’OR et qu’il y a chez son benjamin beaucoup de ce qu’il a été. « Ce qu’on a vécu avec Franck est hyper fort » abonde Tom. « Il est jeune, il peut en remporter beaucoup" s’enthousiasme Franck. L’émotion qui a été un temps palpable est ensuite dissipée progressivement par le récit de la course, l’effusion de joie avec l’équipe et les multiples sollicitations. Reste une certitude : tout leur sera plus doux désormais, la nuit comme les jours qui viennent.
Acte 2 - Coville-Schwartz, le contrat de confiance
On connaissait le coup de la panne mais un peu moins le coup d’accélérateur. Thomas Coville et Benjamin Schwartz étaient attendus à 6 heures puis à 5 heures (heure locale), ils ont finalement déboulé... À 2 h 40 ! Sodebo Ultim 3 a donc causé quelques coups de chaud dans la torpeur de la nuit de Fort-de-France. Avant leur arrivée, les pontons avaient néanmoins retrouvé leur quiétude. L’équipe Sodebo était là, les proches aussi et l’émotion surtout. À 57 ans, Thomas Coville rappelle à chaque fois qu’il faut compter sur lui : 3e de la Route du Rhum (2022), 2e de l’Arkéa Ultim Challenge et donc 2e de la TRANSAT CAFÉ L’OR Le Havre Normandie.
Pourtant, sa fierté est ailleurs. Ses yeux embués racontent une autre histoire. Il l’explique : « on avait atteint un plafond et on a muté pour aller chercher les meilleurs. Afin d’y parvenir, nous avions besoin d’un changement et je suis fier d’être allé chercher quelqu’un d’aussi brillant et exigeant que lui ». La suite, c’est du Coville dans le texte. Il a des mots de gentleman en saluant chacun de ses adversaires dont les vainqueurs (« c’est un privilège de se bagarrer avec de tels skippers »). Il a aussi des accents à la Jean-Claude Van Damme : « on me demande ce qui est le plus important dans le voyage, la destination ou le chemin. Je réponds aucun des deux. Le plus important, ce sont les gens avec qui vous le faites ».
Certaines de ses expressions font mouche. À la question s’il faut un skipper plus âgé et un plus jeune (Laperche-Cammas, Coville-Schwartz), il répond du tac-au-tac : « les jeunes, c’est la clé des vieux ». Et puis il met les points sur les i, avec un sourire qui illumine son visage : « j’ai parlé d’altérité au Havre et tout le monde s’est foutu de moi parce que personne ne sait ce que ça veut dire. Mais l’altérité, c’est justement la présence de Benjamin ». Au fil de l’interview, Thomas n’a jamais parlé de chiffres. À la TRANSAT CAFÉ L’OR, ils donnent pourtant un aperçu de son talent et de sa constance au plus haut niveau : 9 participations, 1 victoire (en 1999 en IMOCA) et désormais 4 podiums.
Acte 3 - Anthony-Julien, le « couple » et le « kiff »
Une journée est passée en Martinique. Le temps de ressentir la trentaine de degrés au cœur de l’après-midi, de déambuler dans un village de plus en plus animé et surtout d’observer les Ocean Fifty offrir un final de feu. Anthony Marchand et Julien Villion n’étaient pas loin et ils en ont même profité : « Nous regardions leur progression pour savoir où il y avait du vent », a expliqué Julien. Actual Ultim 3 est donc le seul ULTIM à s’être offert les joies d’un franchissement de ligne en pleine journée. La succession d’Ocean Fifty les a ensuite obligée à patienter et à profiter aussi avec leur équipe et leurs proches. Ce n’est qu’à la nuit tombée que l’imposant Ultim - ex-Gitana 17 - était amarré au ponton d’honneur, rendant d’un coup tous les 50 pieds qui l’ont précédé si petits.
En revanche, ce qui était grand en ce début de soirée, sous le regard de leur pote Paul Meilhat, c’est le bonheur communicatif des deux marins. Leur complicité manifeste inspire un bon mot à Anthony : « nous nous sommes super bien entendus, on a été complémentaires. En fait on est comme un couple », s’amuse Anthony. Le plaisir qu’ils ont ressenti s’inscrit dans leurs sourires et dans leurs témoignages aussi. « Participer à une transatlantique sur ces bateaux, c’est toujours incroyable », assure Julien. « C’est 95% de kiff parce que ce qui ne l’est pas, ça ne dure jamais longtemps », abonde Anthony. Quelques minutes plus tard, Tom Laperche, Franck Cammas, Thomas Coville et Benjamin Schwartz sont montés sur les filets d’Actual Ultim 4 et ont posé pour la traditionnelle photo. Ils forment donc le podium d’une TRANSAT CAFÉ L’OR, une course « pleine de promesses » a confié Anthony, à l’unisson du ressenti des autres binômes de la classe.
Acte 4 - Le Cléac’h - Josse, entre gentlemen
Une nouvelle arrivée de nuit. Cette fois à une heure où le village a retrouvé sa quiétude et il faut plisser les yeux, depuis la Tour Lumina qui domine la baie, pour apercevoir au loin une agitation, des lumières et un nouveau géant. Le Maxi Banque Populaire XI fait son entrée à Fort-de-France. Un peu plus tard, Sébastien Josse et Armel Le Cléac’h s’assoient sur le flotteur pour la traditionnelle interview. On repense à une scène : il y a deux ans, même lieu, même lumière, mêmes skippers. Armel portait un lycra bleu, Sébastien un tee-shirt blanc ; ils sont tous les deux en noirs aujourd’hui. Les deux marins étaient sortis vainqueurs de leur duel avec SVR-Lazartigue, ils ferment la marche aujourd’hui.
Compétiteurs sur le bout des ongles, Armel et Sébastien ont le visage de ceux qui ont déjà passé la déception et la frustration. « On aurait bien aimé animer plus la course », confie néanmoins Armel qui salue la performance de Tom et Frank pour « avoir dominé du début jusqu’à la fin ». Les micros éteints, ils avancent sur le ponton d’honneur et l’ambiance monte d’un cran : une trentaine de collaborateurs de la banque, qui ont suivi l’arrivée en bateau, chantent et applaudissent les deux skippers. Ils sont ensuite félicités par Thomas Coville, Benjamin Schwartz, Julien Villion. Armel parle peu mais il a le sourire : il sait comme ses confrères d’ULTIM qu’il y aura d’autres opportunités, dans un avenir proche, pour continuer à se mesurer entre gentlemen.



