La yole ronde, un monde ! Troisième partie : « Un mât ou deux mâts ? »
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La yole ronde possède trois emplantures de mâts, elles sont percées dans « les tôtes », pièces en bois massifs qui doivent supporter de très gros efforts. Le diamètre des emplantures varie de 18 à 25 cm. La plus antérieure est la plus étroite, elle est destinée à recevoir le mât de misaine lors des courses à deux voiles, la voile d’avant portée par ce grément excède alors rarement 30m2. La plus postérieure est uniquement destinée à recevoir le mât lors des courses à deux voiles, il s’agit donc d’un mât d’artimon qui peut recevoir une surface de voile jusque 50m2. A deux voiles nous sommes dans une configuration classique « Foc/Grand-voile ». Enfin l’emplanture de plus grand diamètre est celle du milieu qui supporte l’unique voile lors des courses « à misaine » et des voiles jusque 86m2. Les mâts sont tenus dans l’emplanture par des cales en bois.
La configuration à deux voiles nécessite un agencement particulier de l’équipage, en effet le mât d’artimon, emplanté dans l’orifice le plus postérieur, supporte à lui seul de 40 à 50m2 de voile sans haubanage. Qu’à cela ne tienne, deux beaux bébés martiniquais y pourvoiront. Il y a donc en tête du mât d’artimon deux bouts, « les cordes » , elles sont à nœuds ces cordes auxquelles nos solides gaillards se pendront à la force des membres. Par sollicitude ont été autorisées les ceintures de trapèze. Ces fiers à bras sont appelés « première et deuxième corde » (1) , ils sont aussi responsables du passage de la voile d’avant.
Le gréement de la yole est du type aurique, voile trapézoïdale et livarde. Tout comme les coques, les espars suivent l’évolution des techniques. Cela a commencé par fabriquer des mats creux, « Rosette » semble être le précurseur, puis ce mode de construction toléré par la classe s’est propagé à la flotte. On peut le comprendre, le poids du plus grand des mâts est passé de plus de 100 kg à moins de 70 kg. Ultime raffinement les mâts sont dorénavant drapés… de carbone !
Le mariage carbone-époxy épouse aussi la livarde, la « vergue », dont la règle de classe spécifie (4.1c): « Vergue : bambou pouvant être renforcé par des lattes bambous ou par tissus synthétiques plus résine. La vergue peut être également raboutée avec du bambou ». Le bambou ce n’est pas ce qui manque dans le nord de la Martinique, du côté d’Ajoupa Bouillon, et même du très grand bambou. Il vaut mieux, la vergue est plus grande que l’embarcation. « Bambou-carbone » c’est t’y pas innovant ?
La livarde est amurée très basse, à ras de la tôte, et fixée par une estrope car il ne peut y avoir de dispositif de réglage en course. Il faudra choisir avec sagacité sur quel bord du pied de mât la frapper en fonction du parcours… En effet les yoles ne gambeyent pas (3) contrairement au voiles au tiers ou latines. Il y a donc un bord sur lequel la voile est sous le vent de la vergue, c’est l’optimum, et un bord sur lequel la voile est déformé par la pression de la vergue qui se trouve alors sous le vent, c’est nettement moins bien sur le plan aérodynamique, mais pas autant qu’on pourrait le craindre tant le bambou se plie à la forme de la voile. Pour les courses à deux voiles, souvent les vergues avant et arrière ne sont pas amurées sur le même bord. On partage ainsi le désagrément.
Une voile et deux mâts, impossible ? Non ! Voici enfin dévoilé le gréement « à misaine ». C’est le seul qui soit autorisé lors de la Ronde des Yoles.
Le mât sur lequel est envergué la voile est installé dans la seconde emplanture, il n’est pas haubané, et il n’y a pas de cordes en tête de mât, il ne demande qu’à tomber. Pour assurer sa tenue on lui adjoint, en avant de lui, dans la première emplanture, et sur les 7/8éme de sa hauteur un « faux mât ». La liaison entre les deux est assurée par… des bandes velcro !!! Hormis en tête du faut mât où un petit bout’ en spectra lie les deux espars. Cette tête de faux mat reçoit une poulie dans laquelle passe une drisse, elle ne sera fonctionnelle qu’en cas de remâtage après un dessalage.
En résumé la première emplanture est toujours utilisée, soit par le faux mât, soit par le mât avant lors des courses à deux voiles. La seconde emplanture reçoit le mât principal dans les courses à une voile, enfin la troisième emplanture est le siège du mât d’artimon dans les courses à deux voiles.
Tout a commencé avec des sacs de jute réformés, ils faisaient d’excellentes voiles pour les pêcheurs sur leurs gommiers ! Cette origine explique la forme rectangulaire des voiles. La jute s’est transformé en coton puis en dacron. Aujourd’hui les voiles sont composites : Mylar-Dacron, le kevlar est interdit. La coupe des voiles est particulièrement élaborée, divisée en deux panneaux de part et d’autre de la vergue, les laizes sont orientées, pour beaucoup en coupe tri radiale… La voile est solidaire du mat, au guindant, par des garcettes, les « bagues ». Une estrope en tête remplace la drisse. La règle 4.1.1 autorise : « Les bords de la voile (envergure, chute, guindant, bordure) peuvent comporter des systèmes de réglages…. » (2).
Une association qui prétend gagner possède jusque 15 voiles ! La plus petite mesure 22m2, et les surfaces s’échelonnent grossièrement par 4m2 pour atteindre la surface maximale de 86m2. La voilerie Incidences est très présente. Andrew Dowe, responsable de North Sails Caraïbe, prétendait en 2006 qu’une saison de course pour une association représentait une surface entre 1 000 et 1 200m2 (4). Il semble actuellement que les surfaces, plus modestes, représentent un budget annuel entre 15 000 et 20 000€. On comprend que les voileries de réputation mondiale s’intéressent à la yole ronde, et, c’était l’idée première de Georges Brival, ces tissus colorés constituent des panneaux publicitaires très en vue.
La voile est réglée par deux écoutes. Une écoute basse constituée d’un palan à deux brins, fixé sur la voile au point d’écoute ; et une écoute haute fixée en haut de la vergue. A bord ces écoutes sont amurées sur une potence en inox qui coulisse entre deux bois boulines : barre d’écoute rustique mais efficace.
Les fonctions des deux écoutes sont complémentaires. L’écoute basse permet de braquer (5) la voile, c’est elle qui, bordée, permet de faire du cap. L’écoute haute règle le vrillage et donc la puissance de la voile. De son réglage dépend l’équilibre essentiel et vital du bateau, elle est arrêtée après deux tours morts autour d’un tolet par un simple demi nœud gansée. Il est impératif de pouvoir la larguer instantanément. La survie de la yole en dépend. Au portant il peut arriver, pour décharger la voile que, l’on largue complètement l’écoute basse : l’équilibre avant tout.
Bien, vous voilà près à embarquer sur la yole ronde, ce sera au prochain épisode, sensations garanties !
A SUIVRE…
*Merci à Patrick Lamon, président de l’association Yole Net 2000, d’avoir autorisé à reproduire des photos du site internet : https://www.facebook.com/YoleNet2000/
1. www.culture.gouv.fr Fiche d’inventaire du patrimoine culturel immatériel : « La yole ronde de Martinique »
2. Règles de Classe édité par la Société des Yoles rondes de Martinique mises à jour au 04/07/2008
3. Gambeyer : « faire passer d'un côté à l'autre du mât la vergue d'une voile au tiers ou d'une voile latine lors d'un virement de bord » d’après Bonnefoux et Pâris, dictionnaire de la voile.
4. Voiles traditionnelles aux Antilles françaises : « sportivisation » et patrimonialisation ». Jérôme Pruneau, Jacques Dumont, Nicolas Célimène in Ethnologie française 2006/3 (Vol 36)
5. Braquer : « régler l’incidence du profil de la voile », d’après « Les voiles : comprendre, régler, optimiser » Bertrand Chéret, Collection Bibliovoile FFV