Le Jardinier de Corail – Chapitre 2 : Baie de Cook, chez Jean et Brigitte
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La conversation roule quand même sur le corail. De l’autre côté de la route, en face de chez Jean, à flanc de montagne, des terrasses sont dégagées à grand coup de pelleteuses pour y construire des habitations.Le ravinement, favorisé par les puissantes averses de la saison des pluies, trouble l’eau turquoise du lagon. L’apport terrigène comme le nomme Mathieu, constitue un étouffoir très efficace contre le corail. Jean rappelle qu’à Moorea tous les fare du bord du lagon, des constructions anciennes donc, épuisent leurs eaux sales dans des fosses septiques qui polluent le lagon. Les hôtels ont leur propre station d’épuration qui, selon Jean, datent déjà… De plus, le surplus d’eau douce déversé dans le lagon par l’urbanisation, le sol n’épongeant plus les précipitations, tue le corail. Et oui, le corail n’aime pas l’eau douce. Mais la pression humaine n’est rien en comparaison avec les phénomènes naturels qui s’acharnent contre ces organismes vivants.
Mathieu nous apprendra que plus de 50% des coraux de la grande barrière australienne ont disparu ! El Nino, ce phénomène périodique de réchauffement des eaux du Pacifique, tout comme les cyclones sont de puissants destructeurs de corail. Au-delà d’une eau à 29/30° le corail tolère mal. Nous sommes, en ce mois de janvier, en été et en période de recrutement : les poissons viennent se reproduire dans les coraux. La survie du corail est essentielle pour tout l’écosystème. Le blanchiment du corail stressé favorise la colonisation par les algues et le développement de la ciguatera. « A Moorea, tous les poissons ont la ciguatera » affirme Jean. Vous ne connaissez pas la ciguatera ? Je vous en parlerai, je la fréquente depuis 45ans. En attendant le diagnostic n’est pas fameux…. Mais au moins il y a-t-il de la recherche fondamentale sur le corail ? Je pose la question.
« Le corail ici est très surveillé, depuis des années, c’est sans doute le lagon le plus étudié au monde, à Tiahura ». Jean nous parle du laboratoire du CRIOBE. Emanation de l’université de Perpignan le labo a fêté, il y a peu, les cinquante ans de son établissement au fond de la baie d’Opunohu, ici c’est à Moorea.Bernard Salvat est LE spécialiste français du corail, il a contribué à l’implantation de ce laboratoire, associé au CNRS, et à son développement. Il est toujours plaisant de savoir qu’il y a des français à la pointe de la recherche.
Pour l’heure c’est de travaux pratiques dont il est question. Le regard de Mathieu, la cinquantaine élancée, vous interroge autant qu’il vous observe. Pas étonnant, Mathieu à une formation de scientifique : biologie marine à l’université de Montpellier, un breton teinté de méditerranée en quelque sorte.Mathieu, courtoisement, semble un peu dubitatif …« Tu ne prends pas de note ? »« Non, on verra »« Tu as un appareil de photo sous-marine ? »« Non, mais tu dois avoir de jolis clichés ».Il commence à douter…Pour les notes j’en prends peu, et en tout cas toujours sur des supports improbables. Si ce n’est pas important, il est facile de l’oublier…et cela ne valait pas la peine de le noter.« Vous avez masques et tuba ? »« Oui ».Rendez-vous est pris pour vendredi prochain à 09h00, en baie d’Opunohu, nous sommes mardi.
Le lendemain Brigitte nous emmène chez leur voisin : Coral Gardeners. C’est à cinquante mètres.Là encore, pas de chance : Titouan Bernicot, le fondateur de Coral Gardeners, est en vacances.Son remplaçant est lui aussi terrassé par la dengue nous explique une jeune femme en anglais.« Titouan a un incroyable talent de communicant » explique Jean.« C’est un surfeur, jeune, dont les parents ont une entreprise de bijouteries perlières. Il a réussi à convaincre beaucoup de monde pour monter Coral Gardeners, et ça marche »Tous les matins à 09h30 nous voyons effectivement leur bateau emporter cinq à six personnes vers la barrière de corail, ils reviennent vers midi et demi.« C’est un phalanstère, Ils viennent du monde entier pour participer à cette entreprise, ils replantent du corail et déjeunent ensemble ici. Ils sont à peu près quatre-vingt, il y a même une extension à Bali je crois » dit Jean« Mais ils vivent de quoi ? »« De crowd funding : tu payes 50 dollars et on t’envoie la photographie de ton morceau de corail que tu vois grandir ! »« Et puis » rajoute-t-il « Faut être patient, ça pousse lentement le corail !»
A suivre...
Pour ne pas rester sur votre faim :Entre la baie de Cook et l’aéroport de Moorea, un chinois, avec des cuisiniers chinois, des vrais. On peut s’y restaurer de recettes savoureuses et copieuses, et, encore mieux, emporter les plats : Golden LakeLe Centre de Recherche Insulaires et Observatoire de l’Environnement (CRIOBE) se niche au fond de la baie d’Opunohu. A l’extérieur des panneaux qu’illustrent des photos ont une vocation didactique parfaitement réussie.
A côté du laboratoire du CRIOBE et des bassins d’élevage d’aquaculture, une structure moderne très audacieuse abrite « Te fare natura ». L’écomusée a résolument pris le parti de considérer ses visiteurs comme des élèves de l’école maternelle à qui inculquer l’inclusion si ce n’est le wokisme.
Tout le contraire du Musée de Tahiti et de ses îles : Te faré Imanaha à la pointe des pêcheurs de Punaauia sur l’île de Tahiti : une merveille de muséographie pour découvrir l’histoire et la culture polynésienne. On y revient sans se lasser d’autant que sont aussi présentées des expositions temporaires.