Le Jardinier de Corail - Chapitre 3 : Baie d'Opunohu, dans les pilotis des bungalows du Hilton
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Nous embarquons donc dans son bateau amarré à la petite marina qui s’est développé récemment au fond de la baie d’Opunohu et remontons contre vent, houle et courant au-delà de la plage de Ta’ahiamanu, déserte par ce temps, pour venir nous amarrer sous les bungalows de l’hôtel Hilton de Moorea. Avec le Manava beach Resort, le Sofitel, et Cook’s bay hotel, ce sont les quatre principaux sites de restauration du corail que gère maintenant « Hello Reef Tahiti » de Max qui succède à l’ «EcoReef » de Mathieu.Sous un ciel menaçant, on se met à l’eau tous les trois, de l’eau jusqu’aux aisselles. Mathieu à une combinaison isotherme, Bridget un lycra et moi un Tee shirt. J’ai froid ! Il faut aussi retenir Bridget emportée par le courant, elle s’agrippe finalement à un pilotis. Pourquoi réparer le corail ? Les trois prédateurs du corail sont : les palmes du plongeur, le poisson perroquet et l’Acanthaster une étoile de mer vorace que l’on nomme Taramea à Tahiti.Soit le corail est mangé, soit il est tombé. Tombé le sable le recouvre et l’étouffe. C’est là qu’intervient Mathieu.
Le corail encore vivant est ramassé puis fragmenté. Il est collé à l’époxy dans une tige de bambou de 10mm de diamètre, et d’environ 5 cm de longueur Cette bouture ainsi réalisée est mise en pépinière sur une « table » disposée sous les pontons des hôtels partenaires. Ces tables grillagées évitent aux boutures d’être emportées par le courant, elles sont exposées à l’ombre pour une meilleure récupération du corail. Avec le temps le corail commence à coloniser la résine époxy. La bouture est alors prête à être transplanter.« Tu passes beaucoup de temps ici ? »« C’est à peu près six heures de travail six jours par mois »
Viens alors le moment, une fois la vitalité de la bouture assurée, de la transplanter de nouveau sur le récif. Plusieurs options s’offrent. La plus naturelle est de pratiquer une restauration sur un récif déjà existant. La plus naturelle certes, mais techniquement pas la plus facile. Pour cela le jardinier de corail utilise une perceuse aquatique ! Il fore le récif naturel (diamètre 10…) et y implante la tige de bambou surmontée du corail sauvé. « Tu n’emploies pas de gant pour manipuler le corail ? »« Non les coraux de feux sont sur le récif extérieur ».
L’autre option est de créer, à terre, un récif artificiel, de le percer d’orifices (de 10mm…), puis de l’immerger, il sera prêt alors à recevoir les boutures à la demande. Ce peut être une demi sphère de béton ou un tiki, pour faire typique. Mais le plus étonnant est une sorte de tabouret « en diabolo », arme fatale contre l’étoile de mer vorace : Elle grimpe le long du fut, puis se trouvant en surplomb tombe sous l’effet de son poids.
Passion et patience ! Tout cela est affaire de passion et de patience. Je fais part de notre admiration à Mathieu, tous ces sites réhabilités par ses soins sont splendides. Et alors dans le plus improbable des amphithéâtres, dans le froid et le courant va se dérouler un cours de biologie comme je n’en avais jamais eu, totalement invraisemblable, et pourtant ! « Mathieu, le corail, c’est une plante ? »« Non c’est un animal vivant comme l’anémone de mer »« Un animal, mais pourquoi les poissons viennent brouter le corail ? »« Ils ne broutent pas le corail, ils broutent les macro algues qui, en compétition avec lui, tentent de le coloniser. Le corail vit en symbiose avec une algue unicellulaire, la zooxanthelle, elle lui apporte 80% de son énergie et les acides aminés essentiels »« Et les 20% restant le corail filtre l’eau comme une moule ? »« Non, les polypes ont une bouche, des tentacules, il se nourrit de zooplancton »« Et le calcaire du corail ? »« C’est l’animal qui puise dans le carbonate de calcium contenu en grande quantité dans l’eau de mer. Le corail est un animal oligotrophe, il n’a pas besoin de sels minéraux. C’est pourquoi l’apport terrigène et la pression anthropique luis sont néfastes, trop de nitrates et de phosphates le gênent »« Et encore ? »« Il y a une algue Turbinaria ornata, vous en avez vu beaucoup ici, elle flotte, elle est dure et rentre en compétition avec le corail, elle prend la place des nouvelles larves de corail »« Ça vit combien de temps le corail ? « « Entre dix ans et plusieurs centaines d’années »Passion et patience….
On s’est réchauffé un peu, Mathieu nous reçoit dans son faré. Vient enfin la question que j’ai envie de poser depuis l’année dernière : Comment et pourquoi devient-on jardinier de Corail ?Mathieu, on l’a appris a été formé en biologie marine à l’université de Montpellier. En 1995 il effectue son service militaire comme VAT, Volontaire à l’Aide Technique. Choix qui permettait, moyennant six mois supplémentaires, d’être incorporé comme civil dans sa spécialité professionnelle, et quasiment toujours à l’étranger ou en outre-mer. Mathieu part donc en 1995 sur l’atoll de Rangiroa dans une mission de développement des fermes perlières. Au sortir de ses obligations, il ne rentre pas… en France. Construit des aquariums, réalise plusieurs travaux en plongée, travaille dans l’ingénierie de la pêche et de l’aquaculture, pour, à Bora Bora, plonger sur le corail et sa préservation. En 2004 Il développe son entreprise de jardinier à Moorea qu’il cède à Max vingt ans après.
Mathieu a créé depuis avril 2024 une entreprise qui propose de réaliser des diagnostics environnementaux.Sa structure envisage d’étudier la chimie de l’eau, les peuplements en corail et en poissons et d’approfondir les connaissances locales sur les sédiments... « Les plus petits sédiments étouffent le corail et empêchent la colonisation par de nouvelles générations de larves. »On ne se refait pas après vingt ans au milieu de ces animaux attachants, le corail ! Passion et patience.
A suivre…
Pour ne pas rester sur votre faim :Le petit port de plaisance qui s’est développé au fond de la baie d’Opunohu, aussi un restaurant tout à fait recommandable. Là aussi portions polynésiennes : monstrueuses.Tama Hau Opunohu’s bay.