
Quand la science s’invite sur les plages australiennes
Sur les côtes de Nouvelle-Galles du Sud et d’Australie-Occidentale, la peur du grand blanc reste ancrée dans la culture océanique. Chaque attaque, rare mais médiatisée, ravive le débat entre passion, danger et respect de la nature. Dans ce contexte, des chercheurs australiens ont décidé d’apporter une réponse concrète : développer des tissus capables de résister aux morsures sans compromettre la liberté de mouvement.
À Adélaïde, le Southern Shark Ecology Group de l’Université Flinders a mené des essais grandeur nature : des échantillons de matériaux ont été fixés sur des mannequins tractés dans des zones fréquentées par des requins blancs et tigres. Les résultats, publiés dans la revue Wildlife Research, montrent une baisse significative des déchirures profondes par rapport au néoprène classique. Si la force d’une mâchoire reste redoutable, la limitation des lacérations pourrait éviter une hémorragie fatale avant l’arrivée des secours.
Des tissus inspirés de la haute technologie
Ces combinaisons nouvelle génération reposent sur une fibre déjà utilisée dans l’aéronautique et la voile : le polyéthylène à masse molaire très élevée (UHMWPE). À la fois souple, léger et extrêmement résistant, ce matériau, intégré au néoprène, forme un maillage protecteur sans rigidifier la combinaison.
La marque Shark Stop, née en Australie, a été la première à commercialiser cette innovation. Son tissu a été testé directement par l’équipe du professeur Charlie Huveneers, spécialiste reconnu du comportement des requins. Selon le fabricant, ces combinaisons renforcées « ne sont pas conçues pour prévenir une attaque, mais pour augmenter les chances de survie ». Leur conception par zones ciblées, notamment au niveau des cuisses, des hanches et de l’abdomen, vise à protéger les artères majeures, les plus vulnérables lors d’une morsure.

Une technologie déjà adoptée sur les spots à risque
À Lennox Head, Margaret River ou Esperance, plusieurs surfeurs ont déjà troqué leur combinaison traditionnelle pour ces modèles anti-morsures. Certains témoignent d’un gain de confiance à l’eau, sans sensation de lourdeur ni gêne de mouvement. Les clubs locaux voient dans cette innovation une alternative crédible aux dispositifs de capture controversés.
Mais les chercheurs et sauveteurs appellent à la prudence : aucun tissu ne protège totalement. La pression d’une mâchoire de grand blanc, pouvant dépasser les 1,8 tonne, reste capable de fracturer des os ou d’endommager gravement les tissus internes, même si la peau du néoprène renforcé résiste. Ces combinaisons permettent avant tout de réduire la profondeur des blessures et de gagner de précieuses minutes pour recevoir les premiers soins.

Mieux cohabiter avec les prédateurs
Cette avancée technologique s’inscrit dans une approche plus large de cohabitation raisonnée entre l’homme et la faune marine. L’Australie, longtemps critiquée pour ses filets anti-requins ou ses campagnes d’abattage, cherche désormais des solutions non létales. Les combinaisons résistantes aux morsures, associées à la détection électronique, aux balises acoustiques ou à la formation des pratiquants, pourraient devenir un maillon essentiel de cette nouvelle stratégie.
Les plongeurs professionnels, les nageurs de sauvetage et les chercheurs marins envisagent eux aussi de s’équiper. Cette technologie, développée pour les surfeurs, pourrait donc trouver un usage bien plus large, de la sécurité civile aux expéditions scientifiques.
Un marché en pleine émergence
Le succès médiatique de Shark Stop suscite déjà l’intérêt d’autres fabricants. Des start-ups australiennes et américaines planchent sur des versions adaptées à la plongée libre ou à la chasse sous-marine. Les premiers modèles coûtent environ 1 000 à 1 200 dollars australiens, un investissement conséquent mais qui séduit de plus en plus de pratiquants expérimentés.
Les chercheurs de Flinders espèrent, à terme, démocratiser la technologie pour rendre ces combinaisons accessibles au grand public. En parallèle, des études complémentaires visent à mesurer leur durabilité dans le temps et leur résistance en conditions réelles prolongées.
Dans un pays où la mer fait partie de l’identité collective, les requins incarnent à la fois la peur ancestrale et la beauté brute de la nature. En choisissant ces combinaisons « anti-morsures », les surfeurs ne cherchent pas à dominer le prédateur, mais à rétablir un équilibre entre prudence et passion.
Ces innovations traduisent une évolution plus profonde : celle d’une société qui préfère comprendre plutôt que combattre, et qui mise sur la science pour apaiser une peur millénaire sans renoncer à son lien intime avec l’océan.