
Le monde de la plaisance donne du spectacle : le Cannes Yachting Festival, début septembre, a attiré quelque 56 000 visiteurs, tandis que le Monaco Yacht Show, fin septembre, rassemblait près de 30 000 visiteurs, et pas seulement des curieux.
Pourtant, derrière ce succès apparent des salons, les chiffres révèlent une réalité plus amère : les ventes de bateaux neufs en France plongent de -15 % sur la période de septembre 2024 à août 2025, et les bateaux d’occasion résistent un peu mieux, avec une baisse de -3 % selon la FIN.
La flambée des prix, exacerbée par l’après-Covid et la hausse des coûts des matériaux, a fait exploser les tarifs de 30 à 50 % depuis 2019. Et ce sont surtout les petits modèles qui trinquent, beaucoup d’acheteurs se reportent vers la location ou renoncent.
Le poids des longueurs : quand la taille fait la différence
Dans ce panorama contrasté, deux mondes se dessinent :
o Pour les bateaux de plus de 9 mètres, la demande reste plus stable.
o En revanche, le segment de la grande plaisance (au-delà de 25 mètres) continue de bénéficier d’un marché premium solide.
Du côté des superyachts (plus de 30 m), bien que les commandes soient en recul de 10 % sur les huit premiers mois de l’année, la tendance à la taille extrême perdure : parmi les quelque 600 yachts actuellement en construction, 61 % dépassent 40 m, alors que ces unités, plus rares, représentent déjà 37 % de la flotte active mondiale. Ainsi, derrière les chiffres, c’est une dynamique d’« ultra-luxe » qui s’auto-alimente.
Refaire surface : prix, innovation, compromis
Pour les constructeurs de plus petits bateaux, le défi est majeur : redonner envie, sans sacrifier les marges. C’est pourquoi certains misent sur une reposition tarifaire : réduction des prix d’entrée, modèles simplifiés, usages de matériaux plus légers, ou encore innovations technologiques.
Au Cannes Yachting Festival, Sylvie Ernoult souligne des progrès en matière de conception : des bateaux plus accessibles, plus faciles à manœuvrer, plus sécurisés. Et une transition écologique amorcée : propulsion électrique ou hybride, bateaux « vertueux ». Autant d’arguments pour séduire une clientèle soucieuse de modernité et d’empreinte carbone.
Chez BENETEAU, leader hexagonal, la stratégie consiste à faire évoluer toutes les gammes tout en renouvelant l’entrée de gamme. Dans certains modèles, la réduction des coûts passe par des ajustements concrets : par exemple, le Lagoon 38 (13 m) voit disparaître une salle de bain pour deux cabines, et certains éléments en bois sont remplacés par des matériaux plus légers. Résultat annoncé : une baisse de 10 à 15 % du prix sur certains modèles.
L’ombre américaine : droits de douane et équilibres mondiaux
Un autre obstacle plane : les droits de douane américains. Les États-Unis représentent 45 % du marché mondial de la plaisance, selon la FIN, et une taxation accrue pourrait perturber les équilibres.
Mais les acteurs français et européens n’y sont pas forcément les plus exposés : dans le segment des petits bateaux à moteur, les produits américains dominent déjà. Quant aux grandes unités à voile ou motorisées, les chantiers sont essentiellement européens. D’après Bruno Thivoyon, président du directoire de BENETEAU : « il y a un risque de ralentissement, mais on est tous quasiment logés à la même enseigne ».
Le marché du nautisme, tel un océan à deux vitesses, illustre une tension forte entre la fascination pour l’extraordinaire et le besoin de démocratiser l’accès à la mer.
Les superyachts fascinent et continuent d’attirer les investissements massifs, mais ce sont les petits bateaux, ceux qui incarnent la plaisance de proximité, qui révèlent la fragilité du secteur. Réduire les coûts, innover, simplifier : voilà les leviers pour ressusciter un marché en herbe, entre prestige et pragmatisme.