La Polynésie au cœur d’un réseau mondial d’observation de la ponte des coraux

Culture nautique

Avec le projet Connected by the Reef Te Firi A’au, l’association polynésienne Tama no te Tairoto a fait entrer l’observation des récifs dans une nouvelle dimension. Science citoyenne, synchronisation planétaire et reconnaissance internationale marquent une année 2025 décisive.

Avec le projet Connected by the Reef Te Firi A’au, l’association polynésienne Tama no te Tairoto a fait entrer l’observation des récifs dans une nouvelle dimension. Science citoyenne, synchronisation planétaire et reconnaissance internationale marquent une année 2025 décisive.
© Felix Gouniot / Captain Darwin

Depuis les lagons polynésiens, une initiative locale a réussi à capter l’attention de la communauté scientifique mondiale. En quelques années, l’association Tama no te Tairoto, Les Enfants du Lagon, a transformé une observation naturaliste en un programme de recherche d’ampleur internationale, révélant l’un des phénomènes biologiques les plus fascinants et les plus précis de l’océan tropical.

Quand les récifs parlent à l’unisson

En janvier 2025, Tama no te Tairoto coordonne la plus vaste campagne d’observation participative jamais menée sur la ponte d’un corail, le Porites rus. Baptisé Connected by the Reef Te Firi A’au, le projet mobilise un réseau inédit de plongeurs, scientifiques, enseignants et citoyens, soutenu par l’IFRECOR, l’ICRI et inscrit dans la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques.
Ce que montrent alors les images sous marines surprend même les observateurs aguerris. Un nuage blanchâtre envahit l’eau. Il ne s’agit pas de brume mais de millions de cellules reproductrices libérées simultanément par les colonies de coraux. Un instant bref, presque irréel, qui marque le début de la dispersion des larves appelées à former de nouveaux récifs.
L’événement prend une dimension historique lorsque la ponte du Porites rus est observée le même jour, au même moment, dans deux océans. Du Pacifique à l’océan Indien, de la Polynésie à la Tanzanie, jusqu’aux Maldives et à La Réunion, le phénomène est enregistré sur plus de 18 000 km et dans les deux hémisphères. Plus de 400 observateurs, répartis dans 20 pays, transmettent leurs données en temps réel grâce à l’application mobile développée par l’association.

Une horloge biologique réglée sur la lune et le soleil

Les données recueillies révèlent une précision remarquable. La ponte a lieu cinq jours après la pleine lune et environ 1 h 30 après le lever du soleil, entre novembre et avril, avec une intensité maximale en décembre et janvier. Le 18 janvier 2025, la synchronisation est saisissante. À Tahiti, la ponte est enregistrée 1 h 22 après le lever du soleil. À Chumbe Island, en Tanzanie, elle survient 1 h 23 après. Une différence d’à peine une minute, confirmée par des observations concordantes en Nouvelle Calédonie, à l’île Maurice, en Indonésie ou encore aux Maldives.
Pour de nombreux chercheurs, cette régularité remet en question certaines idées reçues sur la reproduction des coraux. Dès 2022, le biologiste James Guest, spécialiste des récifs à l’Université de Newcastle, soulignait l’ampleur inédite de la démarche, évoquant l’un des projets de science participative les plus importants jamais consacrés aux coraux.

© Alice Carpentier

Une reconnaissance scientifique majeure

L’année 2025 marque une étape décisive avec la publication du premier article scientifique dédié à cette ponte diurne synchronisée à grande échelle. Intitulée Shining a Light on Daytime Coral Spawning Synchrony Across Oceans, l’étude paraît dans la revue internationale Global Ecology and Biogeography chez Wiley. Elle est portée par Charlotte Moritz, de CMOANA Consulting, et dix co auteurs issus de la recherche, du secteur associatif et du monde scientifique polynésien.
Basée sur dix années d’observations, entre 2014 et 2023, couvrant 104 récifs répartis sur 15 îles, l’étude met en évidence une horloge biologique commune au Porites rus sur deux océans. Elle démontre l’influence combinée de la température de l’eau, de la profondeur et de la lumière sur les variations saisonnières de l’heure de ponte. Jamais une telle synchronie n’avait été documentée à une échelle spatiale aussi vaste chez les coraux.
Cette publication valide le protocole d’observation patiemment construit par Tama no te Tairoto et consacre l’apport décisif de plus de 300 observateurs volontaires. Elle ouvre aussi de nouvelles perspectives de recherche, notamment sur l’impact du changement climatique sur les mécanismes de synchronisation biologique.

Porites rus, un bâtisseur de récifs résilient

Espèce largement répandue dans l’Indo Pacifique et en mer Rouge, le Porites rus joue un rôle structurant dans les récifs tropicaux. Capable d’adopter des formes branchues, massives, en plateau ou encroûtantes selon son environnement, il peut vivre de la surface jusqu’à 80 mètres de profondeur. À grande profondeur, il s’étale en plateaux pour capter la lumière, formant parfois des structures monumentales qui abritent une biodiversité récifale exceptionnelle.
Moins sensible que d’autres espèces aux variations de température, à la turbidité ou à certains épisodes de blanchissement, le Porites rus apparaît comme un corail particulièrement résilient face aux pressions climatiques actuelles. Un atout majeur pour comprendre l’avenir des récifs dans un océan en mutation.

© Vetea Liao

Observer pour comprendre, comprendre pour protéger

Depuis la première observation du phénomène en 2014, Vetea Liao, biologiste marin et co fondateur de Tama n? te Tairoto, s’appuie sur un réseau de bénévoles toujours plus large. En Polynésie, enseignants, plongeurs et scolaires participent désormais aux observations, notamment dans le cadre des aires marines éducatives soutenues par l’Éducation nationale et l’Office français de la biodiversité.
Voir un récif se reproduire change le regard porté sur ces écosystèmes. Beaucoup réalisent alors que les coraux sont des organismes vivants complexes, et non de simples structures minérales. Cette prise de conscience dépasse le grand public. Des professionnels du secteur maritime sollicitent aujourd’hui l’association pour adapter leurs calendriers de travaux et limiter les perturbations durant les périodes de reproduction.
La science participative devient ainsi un levier concret de transformation des pratiques, en créant un lien direct entre observation, connaissance et protection.

Une application pour relier les récifs et les humains

Le développement de l’application mobile Tama no te Tairoto a joué un rôle clé dans le succès du projet. Pensée pour le terrain, elle permet de collecter, géolocaliser et partager instantanément des données sur la reproduction des coraux et d’autres espèces marines. Elle fédère aujourd’hui des centaines d’observateurs, professionnels comme amateurs, autour d’un objectif commun.
Forte de cette dynamique, l’association souhaite désormais étendre encore son réseau. Le Porites rus étant présent dans plus de 50 pays et territoires, entre Pacifique, océan Indien et mer Rouge, l’enjeu est de multiplier les observations pour affiner la compréhension des mécanismes qui régulent cette synchronisation planétaire.

Un succès porté jusqu’aux Nations Unies

En juin 2025, Tama no te Tairoto est invitée à la troisième Conférence des Nations Unies sur l’Océan à Nice. L’association y présente l’exposition immersive Les récifs du temps ainsi que le clip Moana to'u ora, réalisé avec des élèves du collège de Punaauia. Un projet emblématique, où science, culture polynésienne et engagement de la jeunesse se rejoignent.
Lauréate du trophée TO’A REEF 2024 de l’IFRECOR et reconnue par les Nations Unies comme action officielle de la Décennie pour les sciences océaniques, Tama no te Tairoto incarne aujourd’hui un modèle rare. Celui d’une science ouverte, ancrée dans les territoires, capable de relier les humains par les récifs, et de faire émerger, depuis un lagon polynésien, une compréhension globale du vivant.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.