France II, le plus grand voilier du monde, et le moment précis où l’histoire bascule

Culture nautique
Par Le Figaro Nautisme

Quand le France II apparaît sur la Garonne, au début des années 1910, il donne l’impression qu’un siècle s’est trompé de porte. La vapeur s’impose déjà, les compagnies maritimes rationalisent, les délais deviennent une obsession commerciale. Et pourtant, la France met à l’eau un cinq mâts barque en acier d’une taille inédite, conçu pour traverser la planète chargé de minerai. Le France II n’est pas une nostalgie flottante, c’est un pari industriel, une ultime démonstration que la voile peut encore faire du commerce à grande échelle.

Quand le France II apparaît sur la Garonne, au début des années 1910, il donne l’impression qu’un siècle s’est trompé de porte. La vapeur s’impose déjà, les compagnies maritimes rationalisent, les délais deviennent une obsession commerciale. Et pourtant, la France met à l’eau un cinq mâts barque en acier d’une taille inédite, conçu pour traverser la planète chargé de minerai. Le France II n’est pas une nostalgie flottante, c’est un pari industriel, une ultime démonstration que la voile peut encore faire du commerce à grande échelle.
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Un géant né à Bordeaux, pensé comme un cargo avant tout

Le navire est construit sur les bords de la Garonne, aux Chantiers et Ateliers de la Gironde, sur plans de l’ingénieur Gustave Leverne. Les chiffres disent déjà beaucoup, mais ils ne suffisent pas à raconter ce que représente ce bâtiment pour l’époque. Avec environ 142,2 m de longueur, une largeur proche de 17 m, un tirant d’eau autour de 7,65 m et une surface de voilure annoncée à 6 350 m2, le France II est dimensionné comme une usine mobile, pas comme un voilier de prestige.
Son objectif est clair, transporter du minerai, notamment du nickel calédonien, sur des routes très longues où la voile conserve un avantage simple et brutal, elle ne consomme pas de charbon. Dans un modèle économique où l’énergie coûte cher et où l’autonomie compte, cette logique n’a rien d’absurde.

Une voile géante, mais pas seulement, le choix du "mixte"

Le France II est souvent présenté comme un pur voilier, mais il est conçu à l’origine avec 2 moteurs diesel Schneider d’environ 950 ch, ce qui dit beaucoup de l’époque. La marine marchande est alors dans une zone grise, entre la tradition et la machine, et certaines compagnies cherchent le compromis, profiter du vent quand il est favorable, sécuriser les manœuvres portuaires et les phases sans brise grâce au moteur. Ces moteurs seront retirés après la guerre, signe que l’équation économique, technique ou d’exploitation change, et que le navire doit revenir à une logique plus "voile" dans son usage.
Même sa silhouette raconte cette recherche d’efficacité. Le gréement est décrit comme "jubilee", sans voiles royales au-dessus des étages supérieurs, avec des espars et mâts en acier tubulaire, et une apparence plus "étirée" que majestueuse, comme si la performance de charge avait pris le pas sur l’élégance.

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Le confort à bord, surprise d’un cargo géant

C’est l’un des aspects les plus méconnus et, paradoxalement, l’un des plus révélateurs. Le France II n’est pas seulement un transporteur de minerai, il embarque aussi des aménagements soignés, salon avec piano, bibliothèque, cabine(s) passagers, et même des équipements évoqués comme une forme de "thérapie à l’eau de mer". Ce n’est pas un paquebot, mais cela rappelle qu’à cette période, certains grands voiliers marchands restent des vitrines, et que la qualité des intérieurs fait partie de la culture maritime, y compris sur des navires de travail.

Une route au bout du monde, et des traversées qui ressemblent à des campagnes

Le France II est destiné aux lignes lointaines liées au Pacifique, avec la Nouvelle Calédonie comme pivot, notamment Thio et d’autres points d’embarquement ou de chargement de minerai. On est sur des voyages au long cours, avec des semaines de mer qui s’enchaînent, des fenêtres météo à saisir, des escales rares, et une navigation qui dépend encore directement des régimes de vents et de la discipline de bord. Certaines sources qui retracent sa "grande aventure" donnent une idée de ces durées, avec des traversées de l’ordre de 92 jours à l’aller et 102 jours au retour sur la liaison Europe Nouvelle Calédonie, des chiffres qui replacent immédiatement l’échelle du projet.
C’est là que le France II devient plus qu’un record. Un grand voilier marchand n’est pas seulement un objet technique, c’est une organisation humaine. A bord, un équipage autour de 45 marins, avec un encadrement complet et des métiers indispensables à la voile de cette taille, charpentier, voilier, etc, puis un effectif qui augmente ensuite. Chaque manœuvre, chaque changement de toile, chaque grain sérieux se paie en efforts.

Le contexte, la voile face à la vitesse, puis face à la guerre

Le France II arrive au pire moment pour une carrière longue. La Première Guerre mondiale accélère l’évolution du transport maritime, bouleverse les flux, raréfie certaines ressources, et renforce l’avantage des navires capables de tenir des timings serrés. Même quand la voile reste compétitive en coût énergétique, elle souffre sur un point devenu central, la régularité. Un cargo à vapeur, puis à moteur, promet une date... et la tient ! Un voilier promet une traversée.
Le France II passe aussi par des changements d’armateurs durant sa vie, ce qui traduit les secousses économiques de l’époque et la difficulté croissante à rentabiliser un tel mastodonte.

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12 juillet 1922, l’accident, puis la décision froide

La fin du France II est brutale, et presque administrative. En juillet 1922, il s’échoue sur un récif au large de la Nouvelle Calédonie, souvent mentionné comme le récif de Teremba, dans la zone d’Urai Bay, non loin de Nouméa. Il n’y a pas de perte humaine signalée, mais le navire est immobilisé, et surtout, il devient un problème financier.
Ce qui suit est glaçant de modernité. Les journaux de l'époque indiquent que, dans un contexte de fret défavorable, l’armateur refuse d’engager les frais nécessaires, notamment l’assistance lourde, pour le renflouer et le navire est abandonné. Le plus grand voilier du monde ne disparaît pas parce qu’il est impossible de le sortir de son récif, il disparaît parce qu’il n’est pas rentable à sauver.
La suite n'est guère plus joyeuse et la triste histoire continue d’une manière presque irréelle. En 1944, le site du naufrage où git la carcasse rouillée du France II, est bombardé par des avions américains pour s'entraîner au tir. Comme si le siècle voulait effacer jusqu’à la silhouette de cette dernière cathédrale de toile.

Pourquoi il fascine encore

Le France II captive parce qu’il cristallise un instant précis, celui où la mer change d’époque. Avant lui, la grandeur maritime se mesure encore à la maîtrise du vent, au gréement, à la science des manœuvres et au courage du quotidien. Après lui, la grandeur se mesure de plus en plus en puissance, en vitesse et en logistique.
Même sa postérité raconte quelque chose. Des projets de réplique existent, et l’idée d’un grand voilier moderne inspiré de son dessin refait surface à intervalles réguliers, preuve que le mythe tient autant à la démesure qu’à ce qu’il symbolise, le dernier moment où l’on a cru qu’un cargo à voiles géant pouvait encore porter l’économie mondiale.
Le France II n’est donc pas seulement "le plus grand". Il est un repère, une frontière. Un navire né pour prouver que la voile pouvait encore gagner, et disparu au moment exact où le monde a décidé qu’il n’avait plus besoin de preuves.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.