Prada prépare le show de l'America's Cup

Voiliers
Par Reynaud, Stéphane

Patrizio Bertelli vient de dévoiler Luna Rossa, le catamaran high-tech avec lequel il engage la maison italienne dans la prestigieuse régate, pour la quatrième fois. Une stratégie sportive parfaitement ajustée aux ambitions de la griffe.

Preparations for the Launch ©La Chaîne Météo

Patrizio Bertelli vient de dévoiler Luna Rossa, le catamaran high-tech avec lequel il engage la maison italienne dans la prestigieuse régate, pour la quatrième fois. Une stratégie sportive parfaitement ajustée aux ambitions de la griffe.

Patrizio Bertelli a une réputation à défendre. Au-delà de la gouvernance irréprochable du groupe qu'il dirige depuis une trentaine d'années avec son épouse, la styliste Miuccia Prada, l'Italien est connu pour tenir la meilleure table de l'America's Cup. C'est dans ladite cantine, au sein de sa base nautique d'Auckland, où flotte une immense bannière vert-blanc-rouge, qu'il reçoit ce jour. Une salle de réfectoire avec ses pieds de chaises qui grincent sur le carrelage, ses plateaux en plastique blanc et son cuisinier sans manière. Rien de superflu. Assis aux côtés du boss, l'ambassadeur d'Italie à Wellington et quelques journalistes. Costume bleu marine, chemise blanche, les lunettes à monture noires bien calées sur un nez aquilin, Bertelli, comme l'appelle sa femme, s'embarque pour un long monologue inattendu sur les vins du nouveau monde, de l'Australie à l'Argentine, en passant par le Chili, sans omettre les subtilités de goût, de vinification et de terroir de chacun. Avec ce discours d'ingénieur mâtiné d'hédonisme, et une gestuelle toute latine, Bertelli se montre concret, précis et convaincant. En un mot, efficace. À peine s'énerve-t-il quand il ne parvient pas à retrouver le nom d'un vignoble de la Nappa Valley qu'il est pratiquement le seul à connaître.

Des régates amicales avec les Néo-Zélandais

La salade est servie mais il se contente de morceaux de parmesan, et passe aux penne, sans cesser de parler. Après l'introduction oenologique, le voilà qui aborde la délicate question de la cuisine des abats. Pas un mot sur la voile. La veille pourtant, son épouse a brisé une bouteille de champagne, un Dom ­Pérignon, sur la proue du dernier Luna Rossa ; ainsi baptisé, le catamaran
de 72 pieds peut participer à la Coupe Louis Vuitton, à San Francisco, en juillet prochain, et si possible la gagner pour affronter, en septembre 2013, les Américains d'Oracle lors de la Coupe de l'America.

La cérémonie réunissait sur le quai, du côté de Beaumont Street, jeunes femmes overlookées et garçons sportifs larges d'épaules, dont les membres du team néo-zélandais, adversaires dans les mois à venir, mais pour l'instant partenaires. Pour pallier son retard dans la préparation de la compétition, Bertelli s'est associé aux Néo-Zélandais. Luna Rossa, «un produit industriel high-tech, le résultat d'études mécaniques et logistiques, mais qui ne manque pas de charme», comme il l'a défini, est la copie du voilier néo-zélandais, réalisée à partir des mêmes plans. Une sorte de «prêt-à-naviguer» qui sera plus ou moins customisé. Comme le permet désormais le règlement, les deux équipes vont pouvoir organiser des régates amicales. La première aura lieu le 10 novembre. Cet arrangement, qui fait dire à la presse locale que Luna Rossa est le deuxième bateau kiwi, évite surtout des études techniques longues et dispendieuses. Bertelli tire au mieux parti de la nouvelle donne.

À ce jour, Luna Rossa présente un budget de 45 millions d'euros, soit le plus petit de la coupe. Les deux autres challengers, Team New Zealand et Artemis, caracolent loin devant, avec environ 80 millions d'euros pour l'un et entre 100 et 150 millions d'euros pour le second ; quant à Oracle, le «defender», tenant du titre, il a déjà annoncé un budget de 200 millions d'euros, assez pour armer plusieurs bateaux et trois équipages complets.

Après quelques réflexions sur l'art maori, Bertelli reprend le thème de la gastronomie en mastiquant son steak, sans légumes. Il sera toujours temps de parler des essais à venir avec les navigants et les techniciens. Pour régler au mieux le bateau, Prada va profiter de l'été austral, un avantage sur les autres concurrents qui s'entraînent en Californie, dans des conditions hivernales. Avant décembre, Max Sirena, le skipper de Luna Rossa, va aussi devoir compléter l'équipe. Signe des temps, les effectifs ont fondu. Des dix-sept hommes qui montaient à bord des défis de l'ancienne génération, il ne reste que onze marins multitâches. Une autre économie substantielle pour les armateurs. Afin de perfectionner ces régatiers aux subtilités de la navigation sur deux coques, Prada a appelé à la rescousse le gourou français Franck Cammas. Ce dernier devra apprivoiser la voilure rigide de 40 mètres de hauteur, structurée telle une aile d'avion, en deux parties juxtaposées, susceptibles d'emmener le catamaran à une vitesse trois fois supérieure à celle du vent, au-delà des 40 noeuds. Luna Rossa sera aussi équipé de foils, sortes de patins immergés, qui poussent les coques hors de l'eau quand le bateau atteint une certaine vitesse. Les frottements sont ainsi limités au maximum et l'embarcation accélère. L'équipe maîtrisant au mieux cette technologie aura fait un grand pas vers la victoire. Certains craignent qu'en raison de la vitesse, les accidents soient plus violents. Chaque équipier sera donc muni d'un casque et d'une bouteille d'oxygène, pour respirer en cas de chavirage. Autant de nouveautés qui rajeunissent la compétition.

Plus de spectacle, plus d'audience

Mais l'expérience reste primordiale. Prada n'en manque pas. Sa régularité dans la compétition, du point de vue de la performance comme sur le plan du marketing, en impose. La griffe s'accommode bien de l'image sportive et élitiste associée au monde de la coupe. À Valence, lors de la précédente édition de la compétition, chacun avait pu constater la fréquentation étourdissante du corner Prada installé à l'intérieur de la base. Aujourd'hui, il est inutile de faire appel aux experts du story-telling pour accompagner le lancement d'un parfum masculin. Le «sent bon» qui fut présenté il y a quelques semaines (voir nos éditions du 23 octobre) s'est naturellement appelé Luna Rossa ; son objectif annoncé est tout simplement de devenir le best-seller des eaux de toilette sportives, et le spot publicitaire qui l'accompagne montre le catamaran en pleine navigation. Simple.

Bertelli se ressert un peu de burrata, avant d'aborder avec passion le sujet de l'avenir de l'industrie automobile. Le café est servi. Miuccia est entrée discrètement et s'est assise à l'écart en compagnie d'une amie. À ce déjeuner, il ne sera toujours pas question de bateau. Pourtant, quelques heures plus tôt, en comité plus réduit, le grand patron ne cachait pas sa satisfaction d'avoir su concilier sa passion pour le nautisme avec le monde des affaires. Une stratégie d'investissement et de communication jusqu'à présent 100 % probante. Reste que l'homme donnerait bien à ce trophée un peu poussiéreux les moyens de captiver le grand public, une nouvelle ampleur. Il s'agirait de simplifier les règles et de limiter la possibilité d'innovations techniques, très onéreuses, pour accueillir un plus grand nombre de participants, proposer plus de spectacle, obtenir plus d'audience. Un cercle vertueux.

Mais dans l'America's Cup, c'est encore le vainqueur qui définit le règlement de la compétition suivante. Cela aussi, l'Imperator le sait parfaitement.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…