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Acte I : Vaincre le scepticisme
Il y a bien sûr les précurseurs, aux réussites contrastées, du Paul Ricard d’Éric Tabarly à l’Hydroptère d’Alain Thébault, en passant par le Charles Heidsieck IV d’Alain Gabbay, magnifique oiseau ne pouvant pas vraiment voler, car trop lourd d’être né trop tôt (1984). Après le « mano a mano » Le Cléac’h vs Thomson de 2017, le Vendée Globe 2020-2021 était promis à un foiler c’est sûr. On allait voir ce qu’on allait voir, il y aurait deux divisions, ceux qui volent et les autres. Las, si le podium final est bien 100% foilers, il ne s’en est fallu que de quelques heures pour que « Le vieux con, l’handicapé et le branleur » dixit Jean Le Cam, viennent, avec leurs dérives droites, chambouler tous les pronostics. Scepticisme… Mais nous n’étions qu’en janvier. En mars, la Coupe de l’America profite de l’été austral pour disputer sa 36ème édition en Nouvelle Zélande. Les catamarans volants de l’édition précédente nous avaient enthousiasmé ? Ils sont remplacés par des monocoques en forme de plats à barbe, montés sur de drôles de foils basculants, censés être plus excitants, revenir aux racines du match-racing… re-scepticisme. Mais une fois devant notre écran télé, car toujours impossible de se déplacer, il faut bien l’avouer, nous avons été bluffés. Filant trois à quatre fois plus vite que le vent, parfaitement horizontaux, les croisements sont chauds et les images mettent à mal les quelques lois de physique que nous avons retenu du lycée. Si les Kiwis dominent et gagnent, les régates sont passionnantes à suivre et surtout le doute s’installe. Et si finalement, le foil était l’avenir de l’homme ?
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Acte II : Tester
Alors pour en avoir le cœur net, nous avons pris la direction de l’ENV (Ecole Nationale de Voile) à Quiberon. Notre mission : naviguer sur le premier catamaran à foils se voulant vraiment grand public, le Befoil 16. De loin, avec ses coques en sandwich-verre et vinylester dessinées par VPLP, il est bien difficile de le distinguer des Nacra 17 qui semblent pousser sur les pelouses du centre. De plus près, il y a pourtant bien deux dérives à foils en T, et deux safrans équipés de plans porteurs horizontaux réglables à leur base. Les foils sont en aluminium extrudés et présentent donc une corde constante limitant dans une certaine mesure les performances, mais surtout le coût rédhibitoire et la fragilité d’appendices carbone. Les volets à la base des dérives peuvent s’anguler de 12 degrés de part et d’autre de leur plan horizontal, courant sur 35% de la corde du profil aluminium. Pour adapter le profil à l’assiette du bateau, à sa gîte, la hauteur de vol, l’état de la mer, un flotteur à chaque étrave, est relié par un câble push-pull aux foils. Simple, efficace, mais surtout ingénieux, ce réglage délicat est de fait automatisé. Le résultat ? Trois minutes chrono après avoir pris la barre, nous volons ! Bien calés à l’horizontale, stables, le postérieur perché en bout d’échelle à un bon mètre au-dessus de l’eau. Pas de tangage, une vitesse constante, et un bateau admirablement tolérant. Avec seulement la barre en main cela semble presque trop facile. C’est lorsque l’on y ajoute l’écoute de grand-voile que tout se corse. Barrer avec doigté d’une main tout en choquant-bordant constamment la Grand-Voile dans le bon tempo de l’autre, ne s’acquiert pas dans la minute. Car en quittant la surface de l’eau, les repères changent. Suivant l’envol du bateau, la logique, les sensations, les réglages et les termes tendent vers l’aérien. Les voiles sont comme des ailes, et le vent apparent devient prépondérant. Nous avons vraiment la sensation d’être entrés dans une nouvelle dimension, éminemment jouissive, et on se prend à rêver que le vol ne s’arrêtera jamais. Bilan de la journée : OK tout le monde peut voler, mais sans mon coéquipier-coach l’apprentissage va prendre énormément de temps, ne serait-ce que pour décoller.
Acte III : Valider
Et puis sur l’espace innovation du Cannes Yachting Festival, nous avons découvert le Birdyfish. Une start-up française, et même nantaise, qui veut faire entrer le foil dans les écoles de voile et définitivement envoyer à la retraite les plus que soixantenaires 420 et 470. Rendez-vous est donc pris à La Rochelle pour un essai « débutants acceptés ». Etienne Bertrand a dessiné une carène de scow moderne, ne pesant que 93 Kg, à la fois performante et tolérante. Les deux foils rose flashy en forme de J se rangent dans le cockpit pour le transport, et n’ont que deux positions : rentrés ou sortis. Après une courte démonstration de son concepteur, nous échangeons les rôles et je prends la barre. Sans beaucoup plus d’explications, et par tout juste 10 à 12 nœuds de vent, le bateau décolle. Mieux, nous atteignons bien les 18 nœuds, slalomant dans le Pertuis Rochelais entre tous les bateaux présents et qui paraissent comme « arrêtés ». Pour moins de 20 000 Euros (hors options) un pur amateur qui n’avait pas mis les pieds sur un dériveur depuis 40 ans peut donc voler, dans de bonnes conditions, dès sa première heure de navigation. C’est sûr la révolution est en marche !
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Alors bien sûr, en voyant Ultims, Ocean Fifty et Imoca voler sur la Transat Jacques Vabre, on se prend à rêver. Est-ce que le Figaro 3 ne préfigurerait pas l’arrivée des foils sur nos bateaux de croisière ? Peut-être pas tout de suite et pas forcément pour voler. Pour cela il faudrait bien sûr rester léger ce qui n’est pas toujours compatible avec un programme de croisière. Mais si leur présence peut limiter l’envolée du déplacement, la gîte, l’enfoncement, voire le tirant d’eau, la plaisance de monsieur-toit-le-monde entrerait dans un cercle vertueux qui ne serait pas pour nous déplaire. On parie ? Rendez-vous dans dix ans.