
Moderniser sans renier ses fondations
Derrière les murs de ses bâtiments historiques à Périgny, AMEL a amorcé une transition décisive. Le chantier, fondé dans les années 1960 par Henri Amel, est aujourd’hui l’un des rares à produire intégralement ses voiliers de grande croisière sur un même site. Une singularité qui confère à l’entreprise un ADN fort, mais qui nécessitait une remise à plat de l’organisation industrielle. C’est tout le sens du projet P.H.A.R.E., lancé en juillet 2023 : Préserver l’Héritage AMEL et le Réinventer Ensemble.
« Nous avions un outil vieillissant, plus adapté aux process de fabrication des bateaux de demain », explique Emmanuel Poujeade, président du chantier. Toitures exposées aux aléas climatiques, contraintes d’amiante à anticiper, flux logistiques inefficaces... autant de signaux qui ont convaincu l’entreprise de repenser ses infrastructures. Portée par une conjoncture favorable - la période post-Covid ayant dopé les commandes - la direction a su saisir le moment opportun pour engager cette transformation de fond.

Un chantier plus compact, mais plus performant
L’un des aspects les plus visibles de cette réorganisation concerne la surface du site : 8 300 m2 auparavant, 7 100 m2 demain. Une réduction de près de 15 % de l’emprise au sol... pour une production attendue en hausse. « Grâce à une nouvelle organisation, nous devrions gagner 10 à 15 % de capacité, soit deux à trois unités de plus par an », détaille Emmanuel Poujeade.

Le schéma de production est repensé de bout en bout. Jusqu’ici, un AMEL 50 entamait son assemblage dans le bâtiment 1, passait ensuite par le 3, puis le 2, avant de revenir au point de départ. Demain, les mouvements seront rationalisés : après le moulage, chaque coque ira directement en fosse... pour n’en ressortir qu’en fin de parcours. Moins de manutention, moins de risques, plus d’efficacité.
À ces nouveaux flux s’ajoute une modernisation énergétique. L’isolation des bâtiments est renforcée, le chauffage et les équipements repensés pour limiter la consommation électrique. L’ensemble s’inscrit dans une dynamique de sobriété à long terme, en cohérence avec les attentes du marché.
L’humain, pilier de la transformation

Chez AMEL, la réorganisation engagée par le projet P.H.A.R.E. repose d’abord sur une dynamique interne forte. Les salariés sont impliqués dans la redéfinition des espaces de production, des ateliers de menuiserie à la sellerie. « Les responsables d’aujourd’hui sont les opérateurs d’hier », rappelle Emmanuel Poujeade, qui revendique une gouvernance ancrée dans l’expérience du terrain. Chaque étape du projet est discutée en CSE, avec un objectif clair : améliorer les conditions de travail, en concertation avec ceux qui fabriquent les bateaux.
Cette approche participative s’inscrit dans un changement de culture plus large. Longtemps très fermé sur lui-même, le chantier s’ouvre désormais à son environnement : collaborations avec des designers extérieurs, accueil régulier de stagiaires et alternants, implication active dans la Fédération des Industries Nautiques et dans l’éco-organisme APER. Sans renier son identité, AMEL fait évoluer son modèle, en alliant excellence artisanale et responsabilité collective.

Fidélité à un modèle d’intégration verticale
Dans un secteur où la sous-traitance à l’étranger est monnaie courante, AMEL conserve un fonctionnement rare : quasiment tout est réalisé sur place. Coques, menuiserie, plomberie, électricité, accastillage, sellerie... la maîtrise reste en interne. Ce modèle garantit une traçabilité, une qualité constante, mais aussi une capacité de personnalisation très appréciée des clients.
Cette fidélité à l'intégration verticale est aussi une manière de pérenniser les savoir-faire et de transmettre un sens du détail propre à la culture maison. Le projet P.H.A.R.E. ne remet pas en cause ce socle. Il l’optimise.

Une démarche environnementale lucide et engagée

AMEL adopte une posture mesurée sur la question environnementale. Pas d’effets d’annonce, mais une réflexion en profondeur. Le chantier travaille sur l’autonomie énergétique des unités, la limitation des ressources à bord, et s’intéresse à l’usage de matériaux biosourcés ou recyclés, « dans la limite de ce qu’un chantier de notre taille peut faire », souligne Emmanuel Poujeade.
La priorité, aujourd’hui, est donnée à la structuration d’une politique RSE solide, qui concerne à la fois les bâtiments, les circuits d’approvisionnement locaux et l'implication dans les démarches collectives. Notamment celle, en cours au sein de la FIN, qui vise à élaborer une grille d’analyse du cycle de vie complète des bateaux : conception, fabrication, usage, déconstruction. AMEL y prend toute sa part, convaincu que la transition passe aussi par la coopération à l’échelle de la filière.
Une gamme stable, un cap clair

AMEL ne propose pas de nouveau modèle pour 2025, mais poursuit son cap avec constance. Les AMEL 50 et 60, lancés respectivement en 2017 et 2019 et dessinés par le cabinet Berret-Racoupeau, restent aujourd’hui les piliers d’une offre resserrée, mais toujours aussi attractive. Le carnet de commandes est complet jusqu’en 2026, preuve que la stratégie de différenciation paie.
Pour Emmanuel Poujeade, le succès des voiliers AMEL tient à leur singularité : « Nous ne nous sommes pas détournés de la vision d’Henri Amel. » Une vision centrée sur le voyage, la sécurité, le confort à bord. Une philosophie discrète, mais qui séduit toujours autant ceux qui cherchent bien plus qu’un simple voilier : un véritable compagnon de vie.

Avec le projet P.H.A.R.E., AMEL fait la preuve qu’il est possible d’évoluer sans se renier. Fidèle à son histoire, le chantier construit l’avenir avec méthode, exigence et cohérence. Dans un monde nautique en pleine mutation, cette constance devient un repère.