
Le Figaro Nautisme : Vous êtes entré dans le groupe BENETEAU en 1992 et avez monté tous les échelons jusqu’à intégrer le comité de direction du groupe. La voile, le bateau, c’est une passion ou un métier ?
Yann Masselot : "Mon histoire avec le groupe a commencé par un VSNE (Volontaire au Service National en Entreprise). L’idée était, à l’époque, de faire son service militaire au sein d’une entreprise française pour une de ses filiales à l’étranger. Dans mon cas, ce fut l’Angleterre avec BENETEAU. Mon travail a dû être apprécié, puisqu’à la fin de mon VSNE en 1993, on m’a proposé de partir en Australie pour y intégrer une filiale du groupe. Le rêve ! Mais à Noël, alors que nous sommes au ski avec celle qui deviendra ma femme et ses parents, le téléphone sonne : ma belle-mère décroche et me dit que Madame Roux (l’emblématique patronne du groupe BENETEAU) souhaite me parler. Je n’y crois bien sûr pas une seconde et me demande qui cherche à me faire une mauvaise blague. Je prends donc le téléphone et... C’est bien Madame Roux au bout du fil ! Au ski. Chez mes beaux-parents ! Elle m’annonce que finalement, ce ne sera pas l’Australie, mais Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Et non pas pour m’occuper de voiliers mais de bateaux de pêche professionnels. « Mais, Madame, je n’y connais rien à la pêche... ». « Vous vous y connaissez en bateau, je suis certaine que vous vous en sortirez ! » m’annonce-t-elle avant de raccrocher. Et il a fallu que j’annonce à ma future femme que nous ne partions plus en Australie mais en Vendée...
Ce monde de la pêche professionnelle, je l’ai découvert et je l’ai vraiment adoré. A l’époque, cette activité représentait une part importante du groupe, avec deux usines de construction qui lui étaient entièrement dédiées. J’y suis resté de 1994 à fin 99. Après toutes ces années, j’ai eu envie de retourner vers mon univers de la voile. Il faut dire, pour répondre à votre question, que j’ai toujours navigué : c’est une vraie passion. Je suis né au bord de l’eau et je navigue depuis mes 6 ou 7 ans, d’abord en Optimist, puis en 420 et enfin en Hobie Cat. A 15 ans, je me suis lancé très sérieusement dans la compétition en planche à voile puis en funboard. En même temps, je naviguais énormément en régate avec mon père qui s’était fait construire un 3/4 tonner. Bref, je passais mon temps sur l’eau ! Fin 99, je rejoins Lagoon qui, à l’époque, faisait un chiffre d’affaires de 1,5 million d’euros et avait... 8 distributeurs. En 15 ans, nous sommes passés à 80 distributeurs dans 53 pays pour un CA de 280 millions d’euros ! En 2017, j’ai été nommé directeur de CNB [le site de production de Bordeaux qui emploie 1000 personnes] puis en 2020, j’ai pris la direction de la marque BENETEAU pour maintenant m’occuper des aspects commerciaux et communication pour l’ensemble du groupe."
Le Figaro Nautisme : Quel est votre rôle exact au sein du groupe BENETEAU ?
Yann Masselot : "Je coordonne les équipes commerciales et de communication du groupe pour toutes les marques voile et moteur. L’enjeu est de réussir à coordonner l’ensemble tout en gardant à l’esprit que chaque marque doit absolument conserver son identité propre et ses valeurs. Je travaille aussi en lien étroit avec notre « design center », l’équipe qui est en charge de planifier les différents plans produits. Dans le groupe, nous concevons les bateaux à 5 ans : il faut donc anticiper comment navigueront les plaisanciers en 2030, leurs envies, leurs attentes, les tendances... C’est passionnant !"
Le Figaro Nautisme : La saison des salons nautiques commence avec de nombreuses nouveautés présentées par les chantiers. Ces salons sont-ils toujours aussi importants à l’heure du numérique ?
Yann Masselot : "Les salons nautiques restent essentiels pour les chantiers. Pour vous donner une idée, nous allons présenter, sur les prochains salons, 18 nouveautés pour toutes les marques du groupe BENETEAU. C’est une visibilité exceptionnelle pour ces bateaux et un atout majeur pour réussir leurs lancements. A l’échelle du groupe, plus de 50% des ventes ont une origine salon. On y croise 3 types de visiteurs : ceux qui sont ultra renseignés, qui connaissent déjà tout sur le bateau de leur rêve et qui viennent vérifier si le bateau correspond vraiment à ce qu’ils ont lu ou visionné, les promeneurs qui rêvent d’acheter un jour et enfin nos propriétaires qui viennent nous raconter leurs croisières, nous donner leurs retours et parfois leurs critiques sur le bateau. Ces partages sont très précieux pour nous."
Le Figaro Nautisme : Comment voyez-vous l’évolution des bateaux sur lesquels nous naviguerons dans 10 ou 15 ans ?
Yann Masselot : "L’axe de développement majeur pour les années à venir nous vient de l’expérience du catamaran : les bateaux ne servent plus seulement à se déplacer, ils deviennent - et le seront encore davantage - de véritables plateformes de pluriactivités, de divertissements sur l’eau.
L’autre point primordial est l’énergie à bord. Les bateaux vont être de plus en plus autonomes tout en réduisant leur impact environnemental. La construction ne représente que 20% des émissions de CO2 dans la vie d’un bateau. Le gros travail, pour nous, consiste donc à rendre ces navires plus vertueux pendant leur phase d’utilisation. Dans 15 ans, je suis persuadé que les bateaux seront « propres », c’est une évidence. L’évolution est forcément un peu plus lente que dans l’automobile, car notre industrie n’a pas leur force de frappe, mais on avance dans le bon sens ! "
Le Figaro Nautisme : Vous avez participé à la création et à la conception de nombreux bateaux du groupe BENETEAU. Quel est celui qui vous a le plus marqué ?
Yann Masselot : "Deux me viennent en tête : tout d’abord le Lagoon 440. Quand nous avons décidé de lancer ce catamaran, il était vraiment visionnaire car il était un des premiers catamarans avec un poste de barre surélevé (flybridge). Je me souviens de la réunion de présentation du bateau : nous étions 4 et c’était mon rôle d’évaluer le potentiel de ventes de ce bateau très disruptif. Bruno Belmont nous expliquait le fonctionnement, les manœuvres sur le fly, etc. Et franchement, je ne comprenais pas. Les autres non plus d’ailleurs. Est venu le moment du vote. J’étais contre amener toutes ces évolutions d’un coup, les autres étaient partagés, et c’est Dieter Gust, notre PDG qui a tranché. Dès son premier salon - à Miami - le bateau a été plébiscité et les ventes ont explosé. Une réussite exceptionnelle, au point de nous obliger à réaliser un second jeu de moules. C’était la toute première fois pour un catamaran.
Le second bateau que je souhaite évoquer est le tout nouveau First 30. On le doit à un architecte génial, Sam Manuard et un designer tout aussi talentueux, Lorenzo Argento. Ce bateau est construit en Slovénie, par une équipe hyper motivée issue du Mini 650. Ce nouveau First 30, ils y ont cru dès le début, mais quand ils sont venus nous présenter le projet tel qu’ils voulaient le réaliser, le prix était trop élevé. Nous voulions le proposer à 100 000 euros. Et ils ont retravaillé jusqu’à y parvenir. Le bateau est une merveille, il est incroyable en navigation et offre de vrais aménagements. Vous avez deux heures devant vous ? Vous filez au port et vous voilà en mer à vous éclater au planning en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. C’est vraiment un super bateau et les ventes reflètent parfaitement ce sentiment..."
Le Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?
Yann Masselot : "Je reviens tout juste de trois semaines de navigation en Grèce sur mon bateau, entre les îles Ioniennes et le Péloponnèse. J’adore la Grèce, c’est un terrain de jeu fabuleux et... on y mange tellement bien !
Quant à la prochaine, je ne sais pas encore, mais cela sera sûrement cet hiver au soleil. En catamaran, probablement..."